mardi 12 avril 2016

Le voyage comme une recherche du tout et des parties, dans l’univers du sens et non des chiffres

Après la lecture du livre « Penser global » d’Edgar Morin, j’ai mis ses mots en relation avec mes découvertes asiatiques (un voyage de 7 mois et demi entre l’Inde et le Népal) à travers la médecine ayurvédique , le yoga et la méditation. Dans son livre, Edgar Morin met notamment en avant le manque de prise de conscience collective à l’heure actuelle. Il met cela en relation direct avec la « difficulté à penser le global, c’est-à-dire la relation entre le tout et les parties, les parties et le tout, les interactions, la complexité alors que si le processus se poursuit, nous courons à la catastrophe. »(1) Il parle des limites du quantitatif dans nos sociétés actuelles alors même que dit-il « l’essentiel des êtres humains échappe au calcul : le sentiment, l’amour, la joie, la tristesse, le chagrin, la douleur, la haine. »(2) C’est en effet dans cette optique que nous pouvons visualiser le voyage, la recherche de sens, la rencontre avec l’égalité, sans jugement de valeurs ou jugements quantitatifs, basés sur des données économiques, sociales ou encore politiques ou géographiques bien trop étroites pour la complexité du monde, du vivant et des individus. La rencontre au cours de mon dernier voyage m’a amené à commencer la pratique du yoga rapidement après mon arrivée et j’ai alors plongé dans un univers jusqu’alors inconnu. Ou du moins des représentations presque fantasmées, l’image du yoga pour moi étant depuis la France, une vision d’une gymnastique pour personnes d’un certains âge. Autant dire que j’ai vite été absorbé par toutes les singularités, subtilités et interconnections de cette pratique qui va de la compréhension du corps, le contrôle de la respiration, jusqu’à la considération du spirituel, la volonté de réalisation dans la pratique de la méditation en tant que moyen pour en quelque sorte « dépasser ses pensées ». Voilà une explication de l’utilisation du yoga en occident, donnée par une anthropologue des religions, spécialisé notamment dans les textes védiques et le yoga : « Le yoga, entre autres voies, se trouverait ainsi chargé d’une mission particulière de réparation ; il viendrait en quelque sorte combler un vide, rappeler la place de l’être, du « laisser-être » et de la gratuité dans un contexte où l’humain ne se juge et n’est jugé qu’à ses actes et aux effets positifs objectifs qu’ils produisent. »(3) Le yoga s’est démocratisé en Europe et aux Etats-Unis, à partir des années 70, notamment en pleine période post guerre du Vietnam, après le choc pétrolier de 72/73, Mai 68, faisant partie d’un mouvement d’émancipation spirituel, social et un contre-pied pris par une partie de la population vis-à-vis d’un modèle capitaliste toujours plus compétitif, normatif, quantitatif, qui a petit à petit imposé comme seul modèle valable dans la quête du bonheur, la consommation et l’accumulation de richesse, de biens matériels. La découverte de cette pratique physique est spirituel qui se veut faire le lien entre le corps, l’esprit, nos énergies vitales (yoga signifiant l’arrêt (la cessation, la stabilisation) des tourbillons (agitation incessante, perturbations) de la conscience. Alors seulement « se révèle le Témoin (le Soi) établi en lui-même, définition donnée dans les Yoga-sûtras de Patanjali) a « fait ses preuves » vis-à-vis d’une partie de la communauté scientifique internationale. Nombre de travaux sont diffusés (toujours sous une faible médiatisation) et démontre les bénéfices multiples du yoga et d’autres disciplines et connaissances venues d’Orient notamment la médecine Ayurvédique (étant l’une des plus vielle du monde), la médecine chinoise (qui ne connait pas un proche qui est entre autre aller chez un acuponcteur en Occident ?), la méditation et le Tai-chi (étant une variante du yoga travaillant également sur l’équilibre des énergies du corps). Pour citer quelques exemples, l’asthme se soigne particulièrement bien avec la pratique du yoga, certain exercices respiratoires (pranayama), certaines postures physiques spécifiques (asanas) ; la méditation a raison de quelques minutes par jour obtient de très bon résultat pour la lutte contre l’anxiété, le stress, la dépression. Même si la science moderne veut calculer, comparer, hiérarchiser, la pratique du yoga ou de la méditation se ressent, se vie au quotidien. Mon expérience personnelle, à la suite d’une pratique plus ou moins régulière depuis plusieurs mois maintenant, peut en attester. Ce n’est pas quantifiable, physiquement palpable, mais je me sens « mieux », mes pensées sont moins éparses, nombreuses et incontrôlés, mon corps est plus détendue. Ce constat a été partagé par plusieurs occidentaux rencontrés en inde, venus des quatre coins du monde pour chercher « l’apaisement », « le soin de douleurs chroniques que la médecine moderne n’a pas su soigner », ou encore un métier dans le bien-être (les formations pour devenir professeur de yoga sont très rependu en Inde). Un camionneur chilien de 60 ans, rencontré dans un ashram me disait que cette pratique le « recentrait », lui donnait du plaisir, de la paix intérieur. La lecture de plusieurs ouvrages pendant son séjour lui été apparue comme tout un ensemble de « vérités » qu’il pouvait expérimenter et vérifier au quotidien. Des messages de tolérance, de compréhension de soi. On retrouve ici les mots d’Edgar Morin lorsque l’on vient à parler de système global, de vision du tout en même tant que les parties, de la considération d’une seule et même entité (le monde du vivant), d’une grande communauté (celle des hommes) mais de leurs particularités individuelles inaliénables (la recherche de soi-même). Au cours de la pratique du yoga, le voyage m’a amené à vivre une expérience de 5 semaines dans un ashram, sorte de « monastère yogique », qui développe la pratique du yoga, de la méditation, d’une méditation collectives (Satsang) faite de chants spirituels et dévotionnels, d’une alimentation végétarienne et une pratique du bénévolat (karma yoga). Ce temps passé, un peu coupé du monde, était vu par Swami Sivanada, un maitre yogique, ancien médecin du début du 20ème siècle qui a été le premier a exporté le yoga et a développé une pratique adapté aux occidentaux, comme un moyen de se ressourcer, se recentrer sur soi-même, voir même se découvrir ou se redécouvrir individuellement. Son enseignement s’inscrit dans une continuité, un processus de vie, fait d’un ensemble de petits pas. Une de ses formules célèbres étant « Eat a little, Drink a little, Sleep a little, Meditate a little, Exercise a little, etc… ». Ces moments passés à l’ashram dans le sud du Kerala étaient vu pas son directeur actuel comme un point d’observation extérieur au monde occidental, un moment de recul par rapport à son existence, par rapport à ses pratiques, à son métier, sa situation social, son rapport à soi. Je met directement ces paroles en lien avec une phrase d’Albert Einstein : « On ne résout pas les problèmes avec les modes de pensée qui les ont engendrés ». Dans cette idée de réfléchir sur les problématiques de nos sociétés modernes, il apparait logique voir même vitale d’aller voir ailleurs, de se confronter à d’autres modes de pensées, d’autres façons d’appréhender la vie, la recherche du bonheur, le développement intellectuel, social voir spirituel de nos sociétés. Depuis la découverte de la poudre explosive venue de Chine et sa transformation en arme à feux, il est de coutume de dire que l’Europe et plus tard les Etats-Unis ont pris un ascendant technologique considérable sur l’ensemble de la planète et ont pu asseoir leur domination dans leurs soif de conquêtes et leurs « missions civilisatrices ». Mais cette domination technologique et économique a fait table rase de la spiritualité, et de multiples sciences des plus avancées des peuples conquis. Un exemple étant la civilisation Incas. Lors de ma visite du Machu Picchu, grande cité Incas qui était en fait un exploratoire astronomique très poussé, le guide m’a expliqué que les espagnols en arrivant ont détruit des grandes vasques qu’ils pensaient être de simple mortier. En réalité ses vasques servaient en y mettant de l’eau à observer les étoiles par réfractions et permettaient aux Incas d’établir des calendriers lunaires très avancés, organisant ainsi avec précisions leurs agricultures. Ce peuple a ainsi fait pousser du Maïs à plus de 1000m d’altitude par la méthode dite de l’escalier, à diversifier les cultures et développé une civilisation qui s’étendait sur presque l’ensemble de l’Amérique du Sud. En faisant une analogie, on peut dire que la science modernes sociétés modernes, avec cette esprit de supériorité par rapport aux autres peuples et notamment envers l’Orient, rechigne encore à s’ouvrir pleinement à ces sciences et ces médecines millénaires qui abordent notamment la santé et le corps d’une manière bien différentes. Je citerais encore ici Edgar Morin. « Tout cela est incompris de beaucoup d’économistes, incompris de tous ceux qui vivent dans l’univers du calcul. Encore une fois, la quantification et le cloisonnement sont les ennemis de la compréhension. »(4) C’est une invitation au décloisonnement et à l’ouverture vers une compréhension de manière globale à laquelle nous invite ici Mr Morin, une recherche de sens qui va au-delà de la quantification, du rationalisme, un rationalisme toujours plus désincarné sans fondement idéologique clairement défini. Edgar Morin dira à ce propos : « Nous devons éviter ce qu’on appelle la « rationalisation », c’est-à-dire des systèmes logiques, mais qui n’ont aucune base, aucun fondement. Nous devons éviter la dogmatisation, c’est-à-dire le durcissement de nos idées, le refus de les confronter à l’expérience. Nous devons abandonner une rationalité fermée, incapable de saisir ce qui échappe à la logique classique, incapable de comprendre ce qui l’excède, pour nous vouer à une rationalité ouverte connaissant ses limites et consciente de l’irrationalisable. »(5) A travers le voyage, à travers la rencontre de l’autre, il est possible d’effectuer ce mouvement d’ouverture au-delà d’une logique classique, un partage des connaissances, des logiques, des croyances, des sciences du monde, entre toutes les communautés. Cette ouverte intellectuelle qui n’est possible que lors de cette échange avec autrui, celui qui fait différemment, pense différemment son rapport à soi, son rapport à l’autre, son rapport à la nature. Encore une citation de son livre qui résume bien l’état d’illogisme dans lequel nous sommes actuellement. « Le paradoxe, c’est que la civilisation occidentale, elle-même en crise, se présente aux pays en voie de développement comme étant la guérison, alors qu’elle porte en elle la maladie. »(6) On ne peut continuer à se développer et à chercher des solutions en restant campé sur nos acquis, nos gloires passées, cet esprit encore toujours présent de domination, de supériorité du monde occidentale. L’urgence écologique, sociale, économique, politique, nous empêchent de continuer de rêver à un avenir meilleur sans remettre en cause quelques fondements de notre modèle de société moderne. C’est encore une fois et je le répète, par la rencontre avec autrui, par la réflexion en communautés internationales, la mise en commun sous un principe d’égalité des savoirs, que nous arriveront à dépasser les problématiques. Le voyage permet cette rencontre, ce partage, participant à cette « décolonisation de notre imaginaire »(7) chère au premier ministre du Tibet. Il faut effectuer se retour sur soi, sur les méthodes et pratiques du passé, pour comprendre la source de nos maux actuels, pour partager ensuite et réfléchir ensemble à l’avenir de l’homme sur la planète. 



(1) Morin, Edgar Penser global, Robert Laffont, Paris, 2015, emplacement livre électronique 828 

(2) Ibid 

(3) Ysé Tardan-Masquelier, « La réinvention du yoga par l'Occident », Études 2002/1 (Tome 396), p. 39-50. 

(4) Morin, Edgar Penser global, Robert Laffont, Paris, 2015, emplacement livre électronique 828 

(5) Morin, Edgar Penser global, Robert Laffont, Paris, 2015, emplacement livre électronique 1423 

(6) Morin, Edgar Penser global, Robert Laffont, Paris, 2015, emplacement livre électronique 847 

(7) Vidéo YouTube, MARC DE LA MENARDIERE Changer de croyances pour changer de monde, 7m05s

lundi 4 avril 2016

L’apprentissage d’une langue, entre compétence linguistique et outil de communication, aliénation ou émancipation

À l’aube de l’humanité, les premiers hommes se sont développés en communautés disparates sur l’ensemble de la planète, de manière simultanée. Ils ont ainsi indépendamment les uns des autres, développe une culture, des pratiques, une communication singulière. La rencontre qui s’en est suivie, alors que ses peuples nomades parcouraient le globe à la recherche de nourriture, de nouveaux territoires de chasses sur une planète qui déjà voyait son climat et sa géographie évoluer, a donné lieu à des interactions multiples en terme d’échange de ressources, de savoirs, de cultures. Cet échange est en grande partie assujetti à une compréhension mutuelle, qui comme nous le savons pour notre espèce, passe en partie par le langage articulé. Ainsi depuis des millénaires, les peuples vont apprendre à communiquer entre eux, apprendre la langue d’autrui pour pouvoir commercer, converser, échanger. Et jusqu’à nos jours, ses phénomènes d’échanges que l’on nomme aujourd’hui comme interculturalité, ne sont que plus nombreux. Si les Etats-Nations ont eu tendance à homogénéiser les langages et minimiser voir supprimer les langues et dialectes de tribus et sociétés minoritaires (le français enseigner dans leurs anciennes colonies africaines et de par le monde, faisant fi des dialectes locaux, le cantonais remplacé par le mandarin durant le grand bon en avant de Mao en Chine, l’anglais enseigné de par le monde à l’ensemble des colonies britanniques), les échanges persistes et l’apprentissage des langues et de plus en plus mis en avant à l’heure de la mondialisation. Pourtant, à mon sens et de part mon vécu, je dirais que les français ont quelques lacunes vis-à-vis des langues étrangères, et principalement vis-à-vis de l’anglais, langue de la mondialisation. Au cours de mon parcours scolaire, je n’ai jamais été très attiré par l’anglais, et toujours été plutôt passable voir mauvais du point de vue académique. Si en comparaison des pays germaniques (Allemagne, Hollande, Autriche) ou des pays nordiques (Norvège, Suède, Finlande, entres autres), notre plus faible capacité linguistique, notamment de l’anglais, peuvent s’expliquer à l’instar de nos voisins latin, par une similarité linguistique entre les langues de ses pays du nord et l’anglais de part une racine germanique commune que nous, les latins, n’avons pas, on peut toute fois constater une particularité française dans l’apprentissages des langues étrangères. Sans aller chercher des statistiques en éducation, il est aisé de constater la pauvreté de niveau des français dans leurs aptitudes à parler les langues étrangères. Combien d’amis étrangers m’ont raconté leurs difficultés d’orientation à Paris alors que les taxis et globalement la population ne savait pas ou pire ne voulait pas parler anglais. Combien de français n’ai-je pas rencontré en voyage qui ne pouvais pas aligner quelques mots en anglais et communiquer de manière simple. Combien de fois des étrangers se sont d’abord étonné puis m’ont félicité pour mon niveau d’anglais et mon accent (ou plutôt non accent français). Comme dirait Albert Jacquard, « c’est pas sérieux ». Et je le dis d’autant plus ouvertement et avec fermeté que j’ai été dans cette situation, je n’ai pas eu la moyenne à l’épreuve d’anglais du baccalauréat, je ne regardais que rarement des films en versions originales (anglais en partie), je ne pouvais faire une phrase ou m’exprimer à l’oral même de manière élémentaire. Et je suis partie en Nouvelle-Zélande, seul, pendant près de 8 mois, afin d’apprendre la langue de Shakespeare. En près de 10 années d’apprentissage de l’anglais à l’école, je n’ai pas développé d’attrait pour ce langage. De part mon envie de voyager, j’ai par la suite développé une conscience de sa nécessité. J’ai développé une envie, puis chemin faisant un goût pour cet outil de communication, et non cette compétence linguiste qui m’a été enseigné pendant des années. Combien d’élèves deviendront professeurs de langues , linguistes ou traducteurs ? Je rappellerais ici la dimension exprimé par Joseph Jacotot vis-à-vis du gouvernement française et son rapport à l’éduction qui est hiérarchique, autoritaire, sélectif et aliénant, « Critique un peu radicale de la méthode qui veut justement aller en bon ordre, progressivement, remplacer l’ignorance par le savoir. » (1) On voit bien ici ce dessiner cette passivité dans le rapport à l’apprentissage, à l’éducation, l’élève qui, assit, écoute le professeur dans son cours magistral et va petit à petit s’ « élever », à la hauteur du savant, en enlevant progressivement son costume d’ignorant. Selon moi, nous sommes encore en France dans ce rapport à l’éducation, à la connaissance, qui n’apporte pas la volonté d’émancipation de sa population mais bien d’assujettissement, de contrôle et du maintien de la distance aux savoirs. On retrouve dans le voyage et la volonté d’apprentissage d’une langue étrangère, cette idée d’émancipation. En effet c’est à plus de 10000km de la France, que dans la nécessité (de se nourrir, se loger, travailler) que j’ai développé une compétence, une capacité à communiquer, et ainsi un apprentissage de la langue anglaise. Il n’était plus questions de textes à traduire, de vocabulaire arbitraire à mémoriser, d’écoutes de mauvaises qualités et d’un accent des plus étonnant à décoder. Il me fallait vivre, comme je vie chez moi, mais en utilisant un nouveau moyen de communication. A travers le voyage et le vécu au sein d’une société nouvelle, l’individu va accéder à un outil de communication, va emmagasiner des codes sociaux, des attitudes, qui lui sont vital pour une bonne intégration et un plein épanouissement. En cela, le voyage est pour moi un chemin direct vers la connaissance, dans un univers de sens, de pensées nouvelles, qui sont stimulantes, enrichissantes, et qui surtout proviennent d’une nécessité. Je choisi au départ de me plonger dans l’inconnu, et par la suite je développe des mécanismes d’apprentissages qui me sont vitaux pour résister au choc culturel, comprendre et assimiler les particularités de cette nouvelle société. Je suis là, en voyage, dans un processus d’apprentissage continu, venant d’une caractéristique profonde de mon être et de tous les êtres humains, la nécessité d’échanger, de partager, de vivre avec l’autre. Joseph Jacotot parlera ainsi de la nécessité d’une émancipation « Il n’y a pas à instruire le peuple, il y a à lui dire qu’il peut s’émanciper. » (2) C’est cette idée d’émancipation qui traverse le voyageur, le fait de vouloir aller toucher de ses propres mains, voir de ses propres yeux, parler face à face avec l’altérité. On nous parle d’une société mondialisé, d’une grande communauté humaine, d’égalité entre les peuples, de Déclaration Universelle des Droits de l’Homme. Alors je pars, avec un sac sur le dos, à la rencontre des autres, des étrangers, des privilégiés, des exclus, des enfants, des jeunes, des adultes, des vieillards, des croyants, des chamans, des peuples de la montagne, des peuples de la mer, je pars trouver, ou plutôt retrouver, mes frères et mes sœurs. C’est en constatant une dissonance dans les discours et les pratiques de la société contemporaine, qui nous parle d’égalité mais pratique une politique restrictive quant à l’immigration, nous parle de terrorisme mais continue son ingérence étrangère et sa recherche de domination géostratégique qui en sont les racines, que je décide de partir à la recherche de savoirs, de rencontres, de partages, afin d’éprouver toujours un peu plus ma condition humaine. 

(1) Présentation du livre « Méthode de l’égalité », Librairie Mollat, vidéo Youtube, 40m02s 
(2) Présentation du livre « Méthode de l’égalité », Librairie Mollat, vidéo Youtube, 40m25s

« Ce n’est pas un signe de bonne santé mentale que d’être bien adapté à une société profondément malade. »

Cette citation de Krisnamurti que j’ai retrouvé dans un « talk » de Marc De La Ménardière, organiser par TEDx talks, à voir sur YouTube (1), m’a fait penser à la condition de vagabond, d’individu errant, ce dont s’il fallait appartenir à une case, je me revendiquerais. Tout au long de l’histoire, il est intéressant de constater que la société à mis à l’écart ses populations, les a stigmatisés, traduisant comme un mécanisme de défense vis-à-vis de ses croyances, ses agissements, son système, Gueslin parlant ainsi d’un processus de « médicalisation de l’errance » (2). Laurent Mucchielli mettra également en avant l’impacte de ses représentations sociales des sociétés concernés, sur les discours scientifiques. (3) On va ainsi définir l’errance, le vagabondage comme une pathologie, en 1928 Guy Néron, scientifique, ira même jusqu’à parler dans sa thèse de causes psychiatriques dans 80% des affaires de fugues.(4) On voit ainsi un mécanisme que l’on a retrouve dans plusieurs domaine comme la justification à son époque de l’esclavage et du racisme, le recours à la science, pour disqualifier, discréditer, exclure l’individu gênant, celui que l’on ne peut pas mettre dans une case, qui ne correspond pas au modèle de société que l’on a bâti et qui nous renvoi l’image d’un échec, d’une incompréhension, en utilisant la sainte science, exacte, indiscutable, immuable. Alors pour ne pas remettre en cause l’ordre établi, on va « faire porter à l’individu, seul, la responsabilité de son comportement. » (5) La multiplication actuelle des recherches et des découvertes en physique quantique et génétique notamment, démontrent au jour le jour le caractère incertain du monde physique (tout n’étant qu’énergie, probabilité, dans un espace-temps indéfinissable), viennent bousculer ses certitudes, l’avenir nous dira en combien de temps cela se traduira dans les mœurs. Si il est vrai que le vagabondage dont on nous parle à cette époque et qui a été le plus souvent stigmatisé, avait été subit de manière direct par une majorité d’individu, étant à la recherche d’un emploi, en situation d’exclusion familiale, sociale, le vagabond dont je me revendiquerais aurait comme origine une volonté individuelle de départ. C’est en vivant dans cette société, en l’éprouvant, en y étant d’un point de vue extérieur « bien intégré », que je fais le choix de le délaisser, de « partir à l’aventure », à la découverte de nouvelles contrés. Je fais ainsi le choix de ne pas me sociabiliser comme la société l’a programmé pour ses individus, Robert Castel parlant de « processus de désaffiliation ». (6) Ce processus résulte d’une multitude de facteurs qui se succèdent comme par exemple la défaillance des institutions garantes pour chacun d’une reconnaissance et d’une protection. C’est ainsi qu’aujourd’hui, à l’heure de la mondialisation, les vagabonds viennent déjouer cette course effréné vers la consommation, le « progrès », l’aliénation au travail par l’endettement. Le vagabond consomme peu voir très peu, il s’ouvre à d’autres formes de socialisations et de subsistances comme le partage, l’échange de services, le recyclage, la consommation de denrées alimentaires venant des poubelles. Au cours de mes différents voyages, j’ai pu côtoyer un ensemble de personnes qui vivaient en marge de cette société capitaliste qui occupe une grande partie de notre planète. Des infirmiers, un ingénieur au chômage, des jeunes saisonniers sans diplôme qui vivent en camion à travers l’Europe, travaillent principalement dans l’agriculture et partent plusieurs mois par an en Amérique du Sud ou en Asie en voyage en sac à dos. Un jeune ingénieur fraichement diplômé qui n’a pas tenu la vie d’entreprise plus de 6 mois et est parti sur les routes pour un tour du monde, sans objectifs précis, sans destinations particulières. Plusieurs jeunes avant ou après leurs études partent généralement une année travailler ou simplement voyager à l’étranger. Le point commun de toutes ses personnes, bien que les modalités et les temporalités de voyage divergent, c’est de vouloir voir autre chose, changer d’air, s’extraire de son milieu, explorer l’inconnu pour rechercher de l’inspiration, du sens, à leur existence. En d’autre terme sortir de leur société, quitter leurs familles, leurs amis, s’éprouver autrement, faire face à l’altérité pour une période de temps déterminé ou non à l’avance. Serait-ce pour trouver un remède à cette société qui dégénère, trouver du sens là ou dans leurs vies ils n’en n’ont plus ? Si pour une partie de ses vagabonds, le voyage durera quelques mois, peut-être quelques années, pour tout un ensemble d’individus, ce mode de vie en marge des sociétés capitalistes est devenu une milieu social à part entière dans lequel ils s’épanouissent, avec ses propres codes, transactions, cultures, reposant sur un ensemble de valeurs qui ne leurs sont pas ou plus proposé dans la société capitaliste. En prenant les individus dans leurs singularités, en accordant du crédit à chaque pratique, chaque mode de vie, observer les vagabonds , leurs nombres fluctuants au cours de l’histoire, leurs diversités, nous pouvons tirer des leçons sur les problématiques qu’ils mettent en avant dans les sociétés. Actuellement, ce mode de vie peut être vu comme une revendication à l’encontre de la mondialisation capitaliste, la montée du consumérisme, nous faisant passer d’un Homo Sapiens à un Homo Consumericus (7), en déconnection toujours plus grande avec la nature, avec la planète. 

(1) Vidéo YouTube, MARC DE LA MENARDIERE Changer de croyances pour changer de monde, 0m12s 
(2) Gueslin André, D’ailleurs et de nulle part. Mendiants vagabonds, clochards, SDF en France depuis le Moyen Âge, p.271, Paris, Fayard 
(3) Mucchielli Laurent (1998), « Clochards et sans-abri : actualité de l’œuvre d’Alexandre Vexliard », Revue française de sociologie, vol. 39, n° 1, pp. 105-138 
(4) Jacques Rodriguez, « « Partir, c'est mourir un peu ». Réflexions sociohistoriques sur la mobilité et l'errance », Pensée plurielle 2014/1 (n° 35), p. 21-32 
(5) Ibid 
(6) Castel Robert (1995), Les métamorphoses de la question sociale. Une chronique du salariat, Paris, Fayard 
(7) Gilles Lipovetsky, Le bonheur paradoxal, Essai sur la société d'hyperconsommation : Gallimard, 2006

samedi 2 avril 2016

Elargir le champ des possibles à l’étranger, en contact avec l’altérité

En société, beaucoup de déterminants sociaux, familiaux, sociétaux nous empêchent, consciemment ou inconsciemment de nous exprimer, exprimer notre moi intérieur, une personnalité, une créativité. Nous sommes conditionné à respecter un certain nombre de règles, comme des codes vestimentaires, codes de conduites, et pratiquer cacher tout ce qui ne relèverais pas d’une culture dominante sous peine de vivre l’exclusion, le regard de l’autre, la stigmatisation. On peut parler des habitudes alimentaires pour les végétariens, les pratiques spirituelles comme le bouddhisme ou le yoga bien que celle-ci ce soit démocratisé en occident depuis plusieurs décennies. On voit comment notre société peut être un frein à un épanouissement personnel de l’individu. Au cours du voyage, l’individu loin de ses attaches, de sa famille, ses amis, ses collègues, trouve ou retrouve une liberté de mouvement, une liberté d’action, une liberté de changement, une liberté d’être. Je me souviens encore de mon arrivée en Nouvelle-Zélande, à 21ans, un DUT en poche, 30kg de bagage et l’idée d’immigrer et de m’installer. Le premier sentiment, au-delà du stress de la langue que je ne connaissais pas, de la distance avec ma famille, l’inconnu, était l’ensemble des possibilités qu’il s’offrait à moi. Personne ne me connaissait, je ne connaissais personne, je pouvais être qui je voulais, expérimenter une identité, une pratique spirituelle, une apparence physique, sans me poser la question de l’acceptation de ce changement par mon entourage. En Inde, beaucoup de voyageur, moi y compris, deviennent végétarien. Par simplicité, la viande n’étant pas très rependue bien que largement accessible de nos jours. Au cours du voyage, au cours de l’errance, dans l’instant inattendu, on découvre une pratique, une culture, une science, un savoir, il nous attend, nous tend les bras et nous n’avons plus qu’à l’embrasser. L’emploi du temps au cours de la mobilité étant limité voir inexistant, les possibles sont partout, l’esprit est à l’affut, disponible pour chaque découverte. Voilà une des raisons pour lesquels en voyage, je n’emporte jamais de guide. Le seul que j’ai jamais acheté pour mes voyages était celui de la Nouvelle-Zélande et je ne l’ai jamais ouvert. Pourquoi vouloir biaiser le sentiment de découverte, de surprise, d’exaltation, à l’heure de la surinformation qui nous donnent qu’on le veuille ou non tout le temps et toujours des avis, des conseils, des mises en gardent, sur tel sujet, tel population, tel religion. L’effet de surprise est déterminant lors d’une rencontre, il devient le moteur de la connaissance, l’essence même du voyage étant de se faire surprendre. Se faire surprendre pour apprendre, se faire surprendre pour évoluer, se faire surprendre pour se déconnecter, se faire surprendre pour aller au-delà de soi-même. Dans l’absolu je dirais que pour le voyageur, parfois le lieu, la destination, la population ne vient qu’au second plan. L’important étant cette surprise de la rencontre, de la rencontre avec l’altérité, avec l’imprévu. Je citerais ici quelques propos de Jacques Rancière pour illustrer mes propos : « La vie intellectuelle c’est d’abord de la rencontre, c’est pas d’abord des méthodes après ça on cherche des objets pour appliquer des méthodes et ainsi de suite. »(1) C’est dans ses moments de voyage, de confrontation avec l’altérité que ces moments de rencontre se font soutenus et participe alors à la construction d’une pensée, d’une réflexion, d’une forme d’intelligibilité, de connaissance du monde, de l’autre. « Il faut se fier à la rencontre de l’inattendu. »(2), « L’émancipation passe toujours au départ par une rencontre avec quelque chose auquel on n’était pas destiné. »(3) Le voyageur emprunte des chemins, sans avoir de destination précise, laisse place au hasard de la rencontre et forçant un peu le destin de la rencontre, et ainsi le moment de cette émancipation dont parle Rancière.


(1) Présentation du livre « Méthode de l’égalité », Librairie Mollat, vidéo Youtube, 8m42s
(2) Ibidem 13m46s
(3) Ibidem 36m20s

mardi 29 mars 2016

L’errance et l’altérité en voyage comme moyen de s’oublier soi, de résister, de se redécouvrir

« On ne peut résoudre un problème avec les mêmes modes de penser qui l’ont créé. »(1) La vie animal est faite d’interactions, d’échanges, de partagent, dans un maintient d’équilibre de l’écosystème, non de compétitions, d’égoïsme, d’individualisme. On a besoin de l’autre, on passe notre temps à tisser des liens.(2) C’est en partant de ses deux postulats que j’envisage le voyage, comme une recherche de réponses à des préoccupations de départ individuelles, à travers le partage, la découverte avec l’inconnu, avec l’autre. Une réflexion avec l’autre à propos de certaines dimensions et questionnements communs de l’existence. Ce processus d’altérité, au cours du voyage, peut-être réalisé d’une manière construite, recherché, identifiée, comme par exemple lors d’un séjour organisé, d’une rencontre familiale ou professionnelle, une visite touristique. Mais bien souvent ce type de voyage ne veut pas découvrir, s’ouvrir à l’inconnu, mais confirmé une connaissance déjà actée du pays ou de la culture, avant le départ.(3) Cette rencontre peut également être fortuite, non rechercher au premier chef, ou penser préalablement. Je me situe dans cette deuxième conception du voyage, dans ce que je nomme l’errance, un voyage qui n’a pas vraiment de temporalité, de destinations précises, d’objectifs particuliers. C’est au cours de ce voyage ou l’individu s’ouvre à tous les possibles, se déleste de ses obligations sociales, familiales, institutionnelles, professionnelles, qu’il peut s’ouvrir à la rencontre d’une façon singulière, insoupçonnée, imprévisible, atteignant ainsi un moi nouveau, jusqu’alors inconnu. Cette dimension de l’imprévu, que j’expérimente à travers l’errance, laisse place à mon sens à beaucoup de possibles. Un voyage qui fait figure de retour à l’essentiel, d’une réappropriations de ses libertés individuelles, d’un refus de l’aliénation. Au cours de ces voyages, les besoins sont primaires, on cherche à se loger, on cherche à se nourrir, et c’est à peu près tout. Le reste du temps j’erre, je marche dans les rues du lieu ou je me situe, je m’oublie à moi-même, je plonge dans l’univers du pays ou je me trouve. La vie passe devant mes yeux, les opportunités également. D’autres voyageurs qui veulent découvrir une activité particulière, visiter un lieu historique, rencontrer un local de la région ou du pays, je suis ouvert, j’ai le temps, je ne me pose pas de question et saute sur l’occasion. Autant de moyen pour sortir du quotidien, s’ouvrir à d’autres choses, partager des expériences, se découvrir des passions, des intérêts nouveaux. Cette forme du voyage permet à mon sens une réel remise en question de ses actions, ses croyances, ses valeurs, comme l’illustre cet extrait d’un ouvrage à propos d’identité et d’altérité : « Le contact des cultures est source d'enrichissement mais aussi de questionnements et d'interrogations. Il bouleverse toujours l'individu, si celui-ci n'est pas seulement spectateur mais obligé de vivre dans la durée selon deux codes culturels différents, parfois contradictoires et irréconciliables, des choix, apparents ou réels, s'imposent à lui et l'amènent à réévaluer ses croyances et références de base en fonction du contexte, ou encore à se repositionner dans un parcours de vie afin d'inclure de nouvelles perspectives identitaires et parfois à questionner son appartenance à un groupe ou des groupes. »(4) L’errance comporte également cette univers de la marche, de la déambulation sans but précis, qui nous offre de formidable moment de penser, de réfléchir, de contempler, de laisser aller son esprit. « Voyager à pied signifie s’abandonner à l’espace et au temps. »(5) Cette pratique représente pour moi un formidable moment de résistance, de ne pas se plier à cette course éperdu vers la vitesse, le rationalisme, l’action chronométré, millimétré, ordonné, hiérarchisé. L’errance comme espace de réflexion, de réappropriation de soi-même, de contestation, de parole. Je conterais ici l’histoire de S., ce jeune québécois rencontré à mon arrivée à Mumbai, en Inde. Ce jeune homme avec quelques tatouages sur un corps frêle, n’a pas grand-chose dans son sac à part son hamac, sa guitare, une écuelle et un couteau. Son histoire, étudiant en littérature qui est amoureux de poésie, au bout de la première année, il n’a pas pu. L’aliénation, la consommation, les possessions, il s’en est petit à petit débarrassé, détourné, vivant depuis quelques années dans les rues, entre le Canada et les Etats-Unis, jouant de sa guitare. Il trouve avec plus ou moins de facilité sa nourriture dans le gaspillage constant et important de ces grandes villes « modernes ». Travaillant quelques mois d’été en pleine air, il vit sa liberté, qui transpire son être quand il chante et joue son instrument. Il se cherche, c’est trouvé, veut encore s’éprouvé, par le voyage, la méditation, cette découverte de l’Inde. Ainsi une multitude de jeunes prennent la route en se dressant contre une situation qui les dépassent, une réalité qu’ils ne comprennent pas, un système dont ils ne veulent, qui ne les respectent pas, ne les écoutent pas.

(1) Citation Albert Einstein
(2) Albert Jacquard, vidéo youtube, extrait émission Noms des dieux, RTBF, 1994, 3m27s
(3) Article du monde, « Demain, le touriste sera un voyageur sage », Jean-Didier Urbain, 17 Mars 2010
(4) Identités, acculturation et altérité, C. Sabatier, H. Malewska, F. Tanon, 2002, Paris, L’Harmattan
(5) L’ivresse de la marche, E. Fisset, Paris, Transboréal, 2009, p. 13

lundi 28 mars 2016

Le voyage comme positionnement de recherche

Depuis les premiers hommes jusqu’à nos jour, nous avons toujours voyager, exploré des contrés lointaines. Les peuples étaient nomades et se déplaçaient pour aller chercher de la nourriture pour leur subsistance. Les occidentaux se sont à un moment donné de l’histoire déplacé pour une mission civilisatrice, pour rependre une connaissance, une croyance qu’ils pensaient absolue. Les grecs avant eux avaient entrepris des voyages en Egypte, en y allant rechercher la connaissance, la confrontation avec l’autre, le partage.(1) Aujourd’hui à l’heure de la mondialisation, de la communication planétaire instantané grâce à un développement sans précédent des technologies de la communication, le monde est connecté. Les marchandises et les hommes se déplacent sans cesse, sur des routes toujours plus nombreuses. Mais les frontières ont tendance à se densifier, les identités à se revendiquer, les croyances à se radicaliser. Ce nouveau monde globalisant se découpe en nations, en sociétés se revendiquant une identité propre, un fonctionnement singulier, mais surtout avec ce sentiment de domination, ce sentiment d’une connaissance ultime (la science moderne), d’un modèle politique absolu (la démocratie). Derrière ces volontés de monde universaliste, se cache selon moi des individualités perdues, qui s’accrochent à des certitudes. Pour moi, au-delà de l’influence familiale, le voyage a commencé lorsque ces certitudes de la société occidentale, la société dans laquelle j’ai grandi, ne m’ont pas convaincus. On dit ainsi que "le voyage commence là ou s'arrêtent nos certitudes."(2) C’est ainsi avec tous ces doutes, ces interrogations intérieures, au regard de cette société que je pouvait contempler, que je suis partie à la découverte de l’autre, de l’inconnu, du lointain, pour chercher des réponses, plus d’informations, une autre explication du monde, d’autres manières de penser, de regarder, de se penser, de partager, de communiquer. Tout au long de ses voyages singuliers, qui depuis 6 ans jalonnent mon existence, j’ai rencontrer l’autre, l’autre voyageur, l’autre autochtone, l’autre étranger, l’autre qui finalement n’était pas si loin de moi, voir même qui est moi, dans une complexité de l’existence, de l’identité. Je l’ai déjà dis, je m’intéresse particulièrement aux disciplines de la recherche dans les sciences humaines, actuellement au sein d’un cursus en sociologie. C’est avec cette identité de sociologue, mais peut-être également d’anthropologue, d’ethnologue, que j’ai l’intension de questionner ces voyages, ces rencontres, leurs singularités, leurs sens au sein de la mondialisation, dans un contexte social qui pose question, mène tout un ensemble de combat à travers le globe. Mon postulat de départ vis-à-vis de cette recherche au cours du voyage, c’est cette parole, cette réflexion, ce questionnement, loin de ses principes moraux, sociaux, éducatifs, familiaux, qui fige et conditionnement la vie d’un individu au sein de sa société. Voici un extrait d’un texte du voyageur-anthropologue Franck Michel, que peux illustrer ce positionnement : « Désormais, un intellectuel engagé est d'abord un intellectuel dégagé. Dégagé des institutions, dégagé des pressions, dégagé des manipulations. Un intellectuel qui récuse tout paiement de gages et qui tente de décrypter l'obligation pour nos contemporains de vivre ensemble. Un intellectuel qui préfère la fête du monde à la fête des voisins et qui, dubitatif, s'interroge du passage actuel de la citoyenneté à la mitoyenneté, d'où l'injonction pour lui et ses pairs de repenser un autre vivre ensemble. On est évidemment très loin du compte. À moins qu'il ne soit exclusivement bancaire. »(3) 

(1) L’homme et le voyage, une connaissance éprouvée sous le signe de la rencontre, www.Marco-Polo.org, B. Fernandez
(2) Citation Frank Michel
(3) L’imaginaire et l’imagination au pouvoir, Franck Michel, revue l’autre Voie n°11, 2015

mardi 22 mars 2016

Participer, s’intégrer, une recherche riche de sens

Après relecture des politiques de l’enquête de Didier Fassin et Alban Bensa, cela m’a permis d’identifier des éléments de contexte pouvant justifier un tel projet d’étude qu’a été cette mission au sein d’une association togolaise. Le sentiment de départ qui m’a poussé à aller à la rencontre des togolais, si ce n’est la curiosité voir la recherche de soi, est également un sentiment d’injustice, de déséquilibre, d’incompréhension, laissant place à une volonté, même inconsciente, de réparation de cet état des choses qui semble irrationnel, arbitraire et insoutenable pour un individu qui a grandi sous les paroles universalistes, les droits de l’homme et des grands discours sur l’humanité. « D’une certaine manière, faire du terrain revient à rendre justice, à voire réhabiliter des pratiques ignorées, mal comprises ou méprisées.»(1) 

C’est ainsi que, sans pour autant vouloir impacter sur la situation sur place, j’allais sur le terrain avec la volonté de comprendre les différences, les particularités mais aussi les injustices et disfonctionnements présupposés de la société d’arrivée. J’étais involontairement mais invariablement assujetti à un positionnement de supériorité vis-à-vis de la société togolaise, se traduisant par une forte compassion de départ. Je me souviens encore cette période des fêtes passées à Lomé avec les membres de l’association, c’était le moment de la rencontre, de l’intégration. J’ai très vite adhéré à cette simplicité de la rencontre, du partage, faisant facilement abstraction de certains éléments extérieurs comme la pollution, la saleté, la nourriture épicé, les sollicitations multiples et les regards parfois insistant. Pendant près de 10j j’ai fêté, j’ai mangé, j’ai bu, j’ai beaucoup parlé, me suis présenté, j’ai réalisé mon intégration social au sein de mon nouvel environnement, la société togolaise, en lieu et place de l’association Afrik’Avenir et de ses membres. Je pense que cette première phase, nécessaire lors d’une mission de terrain au sein d’une culture bien différente de la notre, je l’ai réalisée d’une manière sincère et plus tôt abouti. J’étais heureux d’être sur place, je trouvais que j’étais en adéquation avec ce milieu nouveau, j’avais hâte de commencer à travailler sur le projet de l’association. J’avais entamer un processus de compassion, d’amitié, d’intégration et de découverte de la société togolaise à travers l’association et ses membres. Nous avons alors engager les discussions avec les différents établissements scolaires. Beaucoup de protocoles, beaucoup de hiérarchie, des délais différents, animent déjà la mission et attirent mon attention. Après avoir reçu toute l’attention, j’observe une distance progressive entre le responsable de l’association, notre projet ainsi que ma collègue et moi. Est-ce que c’était prévu ? Je ne le sais pas. Toujours est-il qu’après nous avoir brièvement présenté la mission, avoir été ensemble dans les premières écoles, nous avons été laissé libre de nos mouvement et en autonomie quasi complète vis-à-vis du projet, sur le reste de la période de travail. La justification de départ étant de nous laissez seul réaliser les observations sur le système éducatif, afin d’avoir un regard totalement extérieur à la situation, ce qui est compréhensible. Petit à petit c’est dégagé les priorités de l’association, paressant être plus axées sur la recherche et la venue de stagiaires que la coordination et la réalisation effective des projets sur place. Les réunions, au départ prévu de manière hebdomadaire, entre les bénévoles et le coordinateur général n’ont jamais eu lieu ou presque. Les réunions étaient principalement un dialogue individuel de quelques minutes une fois de temps en temps entre le bénévole et le responsable. La communication n’était pas vraiment plurielle et les moments, horaires de travail n’ont jamais été bien défini. Ce qui a créé par la suite des incertitudes et des revendications de ma part afin de clarifier cela. Je pouvais observer alors un basculement dans la considération au départ que j’avais pour les togolais, et notamment vis-à-vis de l’association et du porteur de projet.(2)

Au départ, j’ai écouté avec enthousiasme et bienveillance les difficultés de l’association, notamment du porteur du projet, à mettre en place ses différents actions. Mais à la suite de l’écoute des discours, j’ai pu entrevoir les problématiques sous différents angles, en observant dans l’action, au jour le jour, les membres de l’association au travail. Le fait d’être venu avec cette curiosité, cette compassion, cette soif de découverte, ce sentiment d’égalité dans la relation à l’autre bien que de culture différente, m’a permis d’être très proche des membres de l’association et ainsi accéder rapidement à des discours riches de signification. Je peux rapprocher cette démarche de recherche à ce que l’on nomme le « going native »(3), dont parle Alain Bensa. Il développe l’idée selon laquelle l’implication participante serait tout aussi légitime que l’objectivisme du chercheur en arrière. Pour décrire ce positionnement de départ au cours de ma recherche, je vais relater trois discours de personnes distinctes, permettant un éclairage sur les différentes dynamiques d’acteur au sein de l’association. 

Le premier venant du coordinateur général de l’association, personnage principale et premier interlocuteur au cours de mon expérience sur place et durant le travail sur la mission en éducation. Au départ nous avons beaucoup parlé à propos des visions de l’association, des projets, du futur, avec beaucoup de rapprochement idéologique. Je dirais que ses expériences répétées auprès de mission humanitaire au Togo lui ont donné un vocabulaire, un argumentaire sur le développement que je comprenais, je partageais et dont j’en défendais également les valeurs. Nous parlions de la même chose, avec le même vocabulaire et la même idéologie. Au fur et à mesure du temps, le discours s’est tourné vers les difficultés opérationnelles en lien aux projets de l’association. Et depuis ce moment, le coordinateur n’a eu de cesse de se victimiser, de rejeter le disfonctionnement sur ses collaborateurs, sur nous les stagiaires bénévole. Si je ne nie en aucun cas les erreurs possibles de ses différents partenaires, je note simplement de manière curieuse la récurrence du mécanisme de rejet. Je pense que cela est du à une volonté de préservation de son activité, son projet de vie, en voyant tous conflits approchants comme une possible menace au projet. En ayant personnellement vécu tout au long de mon séjour, les sollicitations incessantes de beaucoup de togolais, je comprends ce mécanisme de défense développé par cette personne. En effet, plusieurs personnes m’ont demandé de l’argent, demander une aide pour obtenir un visa pour aller en France, demander de leurs donner ce que j’avais sur moi (montre, portable par exemple), sous le prétexte que j’ai beaucoup et que je pourrais racheter tout ça une fois en France. J’ai toujours vu cette démarche comme une solution ultime, un manque d’autres opportunités, manque de choix (difficulté de trouver du travail dans la capitale, faible revenu dans les campagnes, ne permettant pas d’accéder à un niveau de confort matériel supérieur. Si les faits socio-économique peuvent expliquer ses comportements, il faut aussi pointer du doigt la vision historique de l’aide, de la coopération, mais aussi les pratiques culturelles locales. D’un côté nous avons des étrangers blancs, souvent en majorité français qui sont venu avec toute la bonne volonté du monde pour aider, en donnant de l’argent, donnant des vêtements, construisant des écoles, des hôpitaux, des puits d’eau, etc… Cette démarche bien intégré par la population local depuis des années, se traduit par une demande incessante, presque naturelle de la part de la population envers l’étranger. Il est alors compliqué de parler d’un échange, d’un travail en coopération. D’un autre côté, de manière culturelle, la personne qui part du village pour aller travailler, ne a pas le faire pour elle, mais pour si ce n’est pour tous le village, au moins pour sa famille. Cela aussi créé des tensions, des attentes vis-à-vis de ses connaissances, qui en vous voyant gagner de l’argent, des possessions, se rapproche et attendent un geste de votre part. Ici je raconterais l’histoire de cet économiste togolais venant d’un village du Nord. Il s’est installé à la capitale pour y faire ses études puis il a trouver un travail et s’est installer, fondant une famille. Un cousin du village est venu un jour pour trouver du travail. Il est rester à la maison, nourri et logé, un certain temps. A un moment donné la famille n’ayant pas assez de nourrir pour tous le monde, a du se restreindre, afin de continuer à subvenir au besoin de leur hôte. Cette situation est encore très commune au Togo et vient s’entrechoqué de manière frontale et directe à un développement international, cette mondialisation qui met en avant les droits et libertés individuels. Je pense que c’est cette problématique qui cristallisent les agissements du coordinateur général qui veut se développer de manière individuel mais est rappelé à l’ordre par son entourage, sa famille, mais surtout ses amis et connaissances du quartier ou ils a toujours grandi à Lomé. Dans le même temps ils ne s’entourent en majorité que de ses connaissances de toujours, gage de fidélité et de confiance selon lui, que ce soit de manière consciente ou inconsciente. 

Le second discours qui suit la logique du précédent vient d’un ami d’enfant du responsable de l’association, qui alors que j’été sur place a pris des fonctions de logisticien, cuisinier et plus globalement homme à tout faire au sein du logement de l’association à Lomé. Au bout de quelques semaines, j’ai pu entamer un dialogue plus ou moins ouvert avec S. (le logisticien) L’élément déclencheur a été le départ du responsable pour un projet dans le centre du pays, je me retrouvais tout seul avec S. Nous sommes allez le soir, boire un verre en ville et rencontrer ses amis. Assez rapidement il a commencé à parler de ses difficultés au sein de l’association. Des problématiques précédentes de l’ancienne association qui a été dissoute, dans laquelle il avait pris part, à Kara dans le Nord du pays. J’ai senti qu’il se sentais oppressé et qu’il avait besoin d’évacuer sa frustration, son mal être, peut-être se justifier de certaines attitudes qu’il avait pu avoir au cours de la vie en collectivité a sein de l’association. Il affichait ainsi une incompréhension vis-à-vis d’E. (le coordinateur), un manque de confiance dans la relation avec E. et un désamour pour son travail. Mais alors que je lui posais la question du pourquoi avoir accepté un tel travail, il me répondis qu’il n’avait pas le choix, qu’il étais technicien en télécommunication et que les deux seuls entreprises du secteur qui emploient, n’acceptent pas d’employer des gens sans relations à l’intérieur de l’entreprise. Ces discours, selon moi, mettent évidence deux complexités distinctes. La première, la plus visible, est la limitation du choix, professionnel, géographique, intellectuel, social, de la population togolaise. La situation sociale, économique, politique, limitent de manière indéniable les possibles des individus. La seconde complexité vient des pratiques culturelles qui vont pousser les togolais à rester entre eux, à l’échelle d’un quartier, à l’échelle d’un village, d’une famille. Ils ont en effet intégrer le fait qu’en allant chercher ailleurs, ça sera forcément moins bien, forcément source de problème, parce que ça ne vient pas des milieux sociaux construis et éprouvé depuis l’enfance. Ses deux discours, à mon sens, nous montre des manières de réfléchir, de penser, de s’imaginer au sein d’une société, qui sont différentes de celles que l’on connait en France. Le rapport à la famille, à l’ethnie, est plus fort, parfois plus fort que les individualités. C’est cette première épreuve de l’appartenance au groupe qui a je le pense posée les premiers doutes sur mon adhésion au projet, et remis en question une partie de la compassion de départ, cet universalisme qui a motivé ce déplacement géographique. 

Le troisième venant d’un ami, K., de plusieurs membres de l’association et notamment, un ami d’enfance ayant grandi dans le même quartier qu’E. La relation que j’ai eu avec K. a toujours été particulière, dû fait de son niveau social, sa situation socio-économique différente de celle de ses amis. En effet ses parents ont des métiers qui leurs permettent de subvenir aux besoins de leur enfant, entre autre lui payer ses études et le soutenir financière pour qu’il n’ai pas à travailler. Il s’est d’ailleurs lancé dans un business de salle de jeu, en parallèle de ses études. En précisant cela, je veux montrer que ses possibles, ses choix de vie, sont plus diverses que ceux des deux interlocuteurs précédent. Il a été, à l’instar de plusieurs amis qui ont gravité autour de l’association plusieurs fois, un simple spectateur des agissements d’E. au sein des différentes structures qu’ils a créés. Selon lui, les associations dans lesquelles E. a travaillé ou celles qu’ils a montées ont toujours été source de problématiques plus ou moins grave. Il m’a tour à tour parlé de détournement d’argent, pression policière, séjour en prison, visant E. Sans être plus précis il a ainsi pointé du doigt les relations de pouvoirs d’E. avec des policiers, des personnages tournant autour de l’association et venant selon lui jeter le trouble dans les comptes de l’association. Sans avoir de preuves, de fait tangibles, ses zones d’ombres autour de l’association, autour du responsable, ont fait naître dans mon esprit un sentiment de distance, de suspicion par rapport aux projets de l’association et aux volontés réelles de l’acteur principal. Cette démarche de départ, d’ouverture et de partage sans retenu avec l’ensemble des membres de l’association m’a permis d’accéder à des témoignages authentique bien que chacun animé par une dynamique spécifique et orientée. 

Je pense que ses deux extraits des politiques de l’enquête résume bien mon positionnement de chercheur pris pendant mon séjour togolais. 

« L’engagement de la subjectivité dans la recherche de l’objectivité me parait être finalement l’une des voies royales de l’enquête de terrain, dans la mesure où c’est en agissant comme l’autre qu’on le comprend, c’est-à-dire qu’on accède à la description au plus près de ce qui survient. » (4) 

« Il n’existe pas d’information libre ou pure, indépendante de ses conditions d’énonciation qui nous renseignerait sur des essences sociales locales ou universelles. … Pour les sciences sociales, rien que de l’histoire, du local et du relatif à décrypter sans cesse et à redécrypter. »(5) 

En conclusion de cette article je me poserais plusieurs questions vis-à-vis de la réception de cette parole étrangère dans ce contexte de travail, de coopération dans le cadre d’une mission dite humanitaire. Le postulat principal de mon exploration, que ce soit en Afrique au Togo ou dans tout autres situations de voyages et de rencontre avec d’autres cultures, c’est de se positionner toujours en temps qu’observateur, que spectateur, quoi qu’il se passe ne pas juger, jugement qui ne serait pas adapter car serait pensé depuis un point extérieur à la société dans laquelle le chercheur réalise son exploration. Mais au cours de cette exploration, j’ai pu constater des positionnements individuels particuliers donnant lieu à des dissonances avec mes conceptions personnelles des relations entre individus, l’idée de justice sociale, de méthode de travail, de communication de groupe entre autres. Alors que le travail est entamé, que j’avais validé l’idéologie de départ, je m’aperçois en cours de route que mes perceptions ont changé et que je ne suis peut-être plus en accord avec les positionnements et agissements de l’association. Dès lors, comment réagir, quel positionnement adopté. En tant qu’individu ayant un contrat avec l’association et une mission a réalisé d’une part, en tant que chercheur d’autre part. Ma réponse vis-à-vis de cette mission au Togo a été il me semble la perte de confiance vis-à-vis du porteur du projet, une remise en question de sa légitimité. Si par soucis de remplir les termes du contrat passé j’ai été au bout de la mission, ce n’était plus par conviction, par empathie ou par plaisir. 

(1) BEAUD S., WEBER F., Guide de l’enquête de terrain, La Découverte, Paris, 1998 
(2) Premières notes du journal de bord datant du 17 janvier 2015, 3 semaines après l’arrivée 
(3) Les politiques de l’enquête, p.25, FASSIN D., BENSA A., La Découverte, Paris, 2008 (4) Les politiques de l’enquête, p.37, FASSIN D., BENSA A., La Découverte, Paris, 2008 (5) Les politiques de l’enquête, p.28, FASSIN D., BENSA A., La Découverte, Paris, 2008

lundi 21 mars 2016

Existence à travers une recherche de connaissance dans le voyage

Rendre son écrit « sociologique », c’est avant tout pour moi une façon de se faire comprendre des sphères du savoir universitaire, se faire accepter, se faire confirmer son statut d’individu au sein d’une société, au sein de toutes les sociétés qui peuplent cette terre de part le caractère universaliste de la discipline sociologique. Je ne devrait pourtant pas m’enfermer dans une démarche unique afin de valider un processus d’intégration qui part nature est multiple et diversifié. Les savoirs universitaires représentant une partie des savoirs de l’homme, dans une forme particulière mais équivalente aux savoirs traditionnels, aux savoirs pratiques, aux savoirs de la vie vécu, aux savoirs du voyage, aux savoirs naissant de la rencontre. Peut-être que je cherche dans la sociologie, dans cette science occidentale, cette forme d’intelligibilité du savoir, à justifier mon existence avec des outils scientifiques reconnus par notre société occidentale. Cette démarche sociologique, scientifique, je l’applique dû moins j’essaye, au cours de mes voyages, de mes rencontres avec l’autre, celui qui a une culture différente de la mienne, celui qui ne partagent peut-être pas les mêmes valeurs sociétales. C’est ainsi de cette manière, à travers cette rencontre de l’inconnu, que j’entends faire de la sociologie, que j’entend établir ma compréhension du monde. Depuis l’antiquité le voyage est décrit comme un passage obligé vers la connaissance, la sagesse. On observerait ainsi depuis des millénaires, les nomades et les sédentaires, deux états différents mais pas forcément opposés, développer deux chemins distincts vers la connaissance(1).  Au cours du voyage, j’éprouve personnellement ce sentiment de connaissance infini dans la rencontre avec l’autre, la confrontation avec le lointain, avec l’inconnu, avec le nouveau. Un sentiment de compréhension perpétuelle du monde qui nous entoure. J’ai souvent pensé qu’un jour je m’arrêterais, un jour je trouverais l’endroit où poser mon sac à dos, l’endroit où monter un projet, l’endroit où je rencontrerais la personne qui me correspond, la personne qui me conviendra pour le reste de mon existence. L’endroit finalement ou je me réaliserais en tant qu’individu, en tant que personne appartenant à une société qui de part ses codes sociaux, sa culture, poussent ses individus à se réaliser d'une manière uniforme. J’ai bientôt 27 ans, je suis en chemin pour terminer un cursus universitaire, je n’ai jamais encore eu de « vrai boulot ». Je me souviens encore des mots de ma mère il y a quelques mois quant, alors que j’étais déjà en Inde, je lui annonçais mon souhait de continuer à prendre la route, de vivre avec mon sac à dos, de changer de lieu lorsque j’en est envie. Elle m’avait alors suggérer de peut-être commencer à penser à trouver « un vrai boulot », je pourrais interpréter ses mots par l’envie de me voir « faire quelque chose ». Avoir un projet professionnel, une activité, un projet, des objectifs, des finalités dans la vie. Ces paroles venant de mes parents, eux qui ont bougé, sont partie « à l’aventure » en bateau, on fait plusieurs boulot, je ne les pas forcément bien reçu au départ, au devrais-je dire ne les pas vraiment bien comprises. Dans mon esprit, mes parents représentent les antipodes d’une vie rangé, d’une famille installer dans une maison pavillonnaire, un véhicule chacun, deux carrières bien tracées, plusieurs semaines de vacances par an, un avenir de retraité bien organisé, entre autres choses. Et ces paroles venaient me faire penser qu’on me demandait de faire cela, de choisir une case et de rentrer dedans, de m’installer. Mais ce que je n’avais pas pris en compte, qui je pense explique ses paroles, c’est notre vision différente du travail, de sa place au sein d’un projet de vie. Ma mère n’a eu de cesse de me répéter que lorsqu’elle travaillait étant jeune, elle arrêtait quand elle voulait, partait voyager et revenait des mois plus tard, retrouvant un emploi, si ce n’est pas le jour même, le lendemain. C’était l’époque du pleine emploi, l’époque ou les femmes ont commencé à s’émanciper de manière importante, dans les années 68. Il me semble qu’aujourd’hui la donne sur le travail a changé, en tout cas de mon point de vue. Je vois le travail, du moins celui dont on parle à la télévision, celui qui mène au chômage, celui qui nous fait lever à 7h du matin, 5 jours par semaine, celui que l’on appelle aussi l’emploi salarié, comme une forme d’aliénation. Une restriction des possibilités individuelles, de la créativité humaine, une participation aveugle et dangereuse à un système uniformisant et sclérosant, qui n’offrent plus de réponses aux problèmes de société actuelle mais s’entête aveuglément vers une voie sans issue. Bien entendu je ne généralise pas, je suis conscient de tout un ensemble de particularité de l’emploi qui est aussi source d’émancipation, de créativité et d’ouverte sur l’autre, de développement personnel et collectif. Je livre ici, simplement, un sentiment sur ce que le travail, sous sa forme banalisé et massifié d’aujourd’hui évoque pour moi. J’entend, on entend trop souvent dans notre entourage cette résignation, cette conformité qui fait souffrir, « il faut bien payer les factures », « vivement les vacances ». J’ai travaillé l’été dernier dans un supermarché, faisant de la mise en rayons, pendant 6 semaines. J’ai été confronté à plusieurs typologies d’employé. Une grande majorité étant comme moi, étudiant, cherchant un revenu sur une période courte afin de subvenir à ses besoins pendant la période universitaire. Une autre catégorie d’employés sont selon moi résignés, effectuant leur tâche sans enthousiasme, avec une vision journalière, comme une nécessité pour encore une fois « payer les factures », « il faut survivre », « on n’a pas le choix », « il y a des gens qui n’ont pas de travail et qui voudraient bien avoir ce job ». Voici l’état d’esprit de certains employés, qui sont dans une position de résignation, de soumission à l’existence. Ils font partie d’un système sans l’avoir désiré, recherché. Sans l’avoir choisi au départ. Cela peut s’expliquer par un environnement social, une éducation particulière, une appartenance à une classe sociale ayant moins d’opportunités, d’ouverture vers le champs des possibles, socialement, économiquement, intellectuellement. Cette appartenance subie, vécu comme une souffrance, d’une partie des employés de notre société, représente ce à quoi je ne veux pas être lié. C’est dans une démarche d’émancipation, de compréhension, d’apprentissage, de nouveautés, que j’aimerais me situer. Cependant la société française et par extension occidentale nous renvoi en partie une image de nous-même devant être en conformité, de manière physique tout d’abord (code vestimentaire intégré depuis le plus jeune âge, et la confrontation entre les écoliers par exemple), mais aussi socialement (les hobbies, les lieux de socialisation standardisés) et intellectuellement (un seul système scolaire pour tous, uniformisant, globalisant, infantilisant). Comme le dis Albert Jacquard, l’école occidentale est un lieu ou triomphe les gens les plus conforme. Cette conformité est dangereuse à un moment où notre société à besoin de sang neuf, de créativité, de se réinventer. Pourtant c’est bien cette image de mise en conformité que me renvoi la société, à travers la famille tout d’abord, mais également à travers les trajectoires de mes amis « conforment », de mes anciens camarades d’universités engagés dans des carrières professionnelles bien implantées et reconnus par le système, par la masse. Une image d’un individu productiviste, actif sur le marché du travail, sur le plan social également avec l’établissement d’une relation amoureuse, l’installation au sein de sa ville dans des activités sociales visant à lui renvoyer une image d’un individu reconnu et accompli au sein de la société contemporaine, de sa société. Mais pour ma part, je voyage, je bouge encore et toujours, je me cherche, j’observe de tous côtés, je suis assis dans le cinéma et je regarde cette masse évoluer dans la société, je regarde avec étonnement, perplexité, admiration parfois. Est-ce que je veux participer à la valse de la vie de cette manière ? Est-ce que à l’intérieur de moi-même, je ressent le besoin de correspondre à ce modèle de société pour avoir le sentiment d’exister, de participer, d’être accepté ? Je ne le pense pas, je ne le veux pas, je n’en ai pas besoin, pas sous cette forme là. Alors me voilà partie dans une recherche personnelle du sens de la vie, du sens de ma vie, du sens que je donne au mot travail et de sa place au sein de la définition que je peux donner à mon existence. Comme je l’ai exprimé plus haut, il me semble que la définition du travail a évolué, ses représentations se sont modifiées au fil des évènements socio-économique de l’histoire récente de la société occidentale, sous fond de globalisation qui s’accélère, ayant comme moteur un système capitaliste qui tousse de plus en plus fort. Bien que nous ayons vraisemblablement changé de paradigme, nos politiques dans un dernier élan de survie et de sauvegarde du pouvoir, s’évertues à continuer sur les mêmes chemins boueux, à présenter des réformes qui n’en sont pas, en prétextant l’attente du passage de cette crise (sous entendu limitée dans le temps) qui dure maintenant depuis plus de 30 ans et ressemble fort à une mutation, un changement profond et systémique, ayant pour résolution la redéfinition de nos manières de penser la société. Actuellement, de plus en plus de pays ouvrent le débat, publiquement mais aussi politiquement, sur le salaire universelle. C’est dans cette optique que j’aime à penser mon projet de vie. Explorer, rencontrer, créer, écrire, penser, imaginer, partager, comprendre, s’inspirer, autant d’actions qui peuvent se réaliser en dehors d’une démarche professionnelle de marchandisation du labeur . Sans vouloir à tout prix penser mon existence comme une marchandisation, une production économique suivit d’une consommation matérielle, à travers le voyage, à travers l’errance, j’aimerais ainsi me réaliser, du moins pour un temps, en dehors de cette conception classique. En limitant mes possessions, en limitant mes dépenses, en découvrant des circuits de subsistances alternatifs, non-marchand, je voudrais explorer la vie d’un angle nouveau. Beaucoup de gens, à travers le temps et l’histoire ont fait naitre le phénomène. Il a été défini, il a évolué, il nous a raconté un ensemble d’histoires. On a parlé à un moment donné aux Etats-Unis des hobbos, naissant à la suite de la crise des années 30, se déplaçant à l’aide des trains de marchandise de l’ouest vers l’est à la recherche d’un emploi, modifiant ainsi la vision sédentaire du salariat. Il y a eu également la période de 1968 avec les mouvement hippies, et de nos jours, notamment en Europe, on observe une recrudescence du mouvement que l’on pourrait nommer des nomades motorisés. Ses individus en majorité jeunes, vivent dans des vans et cherchent des emplois saisonniers pour travailler une partie de l’année et voyager le reste du temps. Ils sont également au cœur de mouvements associatifs, artistiques, culturelles voir même philosophiques dans leurs manières de s’approprier le monde, de se penser individuellement et collectivement. On remarque ainsi un mouvement d’une frange de la population occidentale qui ne trouve pas sa place au sein de la société, et vont ainsi s’inventer autrement, se réaliser différemment, en marge de la société, de manière volontaire ou involontaire, soit car l’expérience de vie professionnelle classique ne les a pas convaincus, soit parce qu’ils n’ont jamais correspondu aux attentes de la société et au lieu de rester sur le bas côté, ont décidé de se réaliser différemment.


(1)« L’homme et le voyage, une connaissance éprouvée sous le signe de la rencontre », www.Marco-Polo.org, B. Fernandez

lundi 14 mars 2016

Mes origines voir non-origines socio-géographiques

Aujourd’hui j’ai mis des mots sur mon sentiment de non-appartenance à une location géographique particulière. En discutant avec une népalaise et un français à propos de cet attachement qu’elle peut avoir avec la ville de Katmandou, celle qui l’a vu grandir. Elle a vécu les premières dix-huit années de sa vie à Katmandu, puis est partie étudier et vie actuellement en Ecosse depuis plus de seize ans. Elle revient à Katmandu chaque année. Lorsque je lui pose là question, elle me répond directement et sans hésitation qu’elle est népalaise (je lui avais demandé si elle se sentais écossaise maintenant). Elle garde un attachement fort et particulier à la ville de Katmandu, son climat, ses ruelles, son ambiance, sa famille qui vie depuis toujours ici. Le même constat pour ce français d’une cinquantaine d’années qui vie dans un petit village reculé d’une région campagnarde française. Il voyage beaucoup, pendant plusieurs mois souvent, mais se sent profondément attaché à cette terre, cet endroit ou il a sa maison. Il aime beaucoup l’environnement, la nature autour du lieu ou il vit en France. Il ira même jusqu’à dire que pour lui, on ne peut voyager loin et sereinement que si nous savons que nous avons des racines quelque part, des racines bien établies. Cela m’a profondément marqué, voir blessé, alors même que je ne me sens moi-même n’appartenir à aucun lieu géographique précis actuellement. Le constat est le suivant. À l’âge de douze ans, on m’a arraché d’une terre que je pourrais qualifié de mes racines, les Antilles, l’île de Saint-Martin où j’avais jusqu’alors toujours vécu. Et ma famille s’est installé en France. Le changement de climat, d’ambiance, d’état d’esprit, ne m’a jamais vraiment plus, bien qu’étant un enfant jovial et qui s’adapte partout. Je me souvient avoir assez rapidement gardé en tête l’idée de partir un jour de France, sans forcément avoir pensé à retourner aux Antilles, à Saint-Martin, mais avant tout partir de ce pays, ce continent peut-être, qui ne me convenait pas, étant trop différent de ce que j’avais vécu. Seulement onze ans après mon départ de l’île, j’y suis retourné. Et là, le choc, bien que j’y avais été préparé car mes parents étaient retourné sur l’île plusieurs fois, mon frère y avais vécu. Mais de mes yeux j’ai pu voir cette île qui avait changé, qui n’était pas accueillante, en tout cas plus pour moi, étant tourné vers l’argent, le loisir, sans culture, sans profondeur. La France m’avais changé, j’avais grandi, j’avais compris réellement les raisons de notre départ de l’île douze années plutôt. Bien qu’en sachant tout cela, et n’ayant aucunement la nostalgie de l’enfance, le constat est là. Je n’ai pas de références, de racines géographiques auxquels me rattacher, auxquels je suis attacher. La France ne m’ayant jamais correspondu, et les Antilles ne me correspondant plus. Ce n’est pas tellement l’envie où le besoin de cet attachement particulier à une terre, un pays, une ville, mais plutôt le pourquoi de ce non attachement à un tel lieu qui me questionne en particulier. Depuis mes 18ans et la séparation avec le foyer familiale, le bateau de mes parents, je bouge, je change de filière universitaire, de villes universitaires, je voyage sur différents continents, poursuivants différents projets. Même si ces mouvements incessants commencent parfois à « me fatiguer », je pense que c’est avant tout vis-à-vis de la comparaison que le monde me renvoi constamment, consciemment voir inconsciemment. Je ne suis pas dans la même situation qu’une grande partie des gens qui vivent avec ses références fixes de racines géographiques, sociales, familiales, amicales. Un socle de base qui ne bouge pas, reste immobile pour une vie, sert de pilier, de référence dans les moments difficiles, les épreuves de la vie. Mais cette vie dont on parle est diverse et varié, a de multiples facettes, prend des formes bien différentes, parfois même des formes que l’on pourrait avoir tendance à opposer d’un mouvement de défense presque instinctif. Même si je refuse de me situer par peur de m’opposer, de me restreindre, de m’enfermer et de ne plus pouvoir évoluer, je dirais que je me trouve dans cette univers sociale de la non-appartenance (grossièrement d’un point de vue extérieur car n’appartenant pas à un environnement social, géographique, national, distinct et défendu voir revendiqué par moi-même), ou plutôt à peut-être une autre forme d’appartenance. J’aime à penser une autre manière de vivre l’appartenance comme celle que l’on l’entend habituellement. Je suis de tel où tel nationalité, je viens de tel où tel région, je suis de tel ou tel ville, partie politique, mouvement citoyen, etc, etc… J’ai commencé, par jeu peut-être, nécessité pourquoi pas, mais surtout par curiosité intellectuelle envers ma personne mais aussi envers les autres, une démarche identitaire réfléchi et choisi. Maintenant je me présente sous le nom de Banjo (voir Banjo Baba ou Baba Banjo pour « coller » intuitivement, machinalement, bêtement à la règle du nom et prénom) et je ne divulgue plus ma nationalité, ou bien je la change au grès des envies et des rencontres. A la question irréductiblement posé au voyageur « Where are you from ? », je réponds parfois « many places ». L’objectif étant le suivant. Partant du postulat que je n’ai pas le même sentiment d’appartenance, d’attachement familiale, nationale, que tout un chacun, alors je souhaite le définir moi-même, en tout cas pour un temps, afin d’appréhender le changement, si changement il y a. Je me trouve actuellement à cet endroit-ci de ma recherche avant tout personnel mais qui je pense est aussi une exploration sociologique, une manière singulière de voir le monde, de l’observer, de l’analyser. Ses éléments de constitution de mon passé, tendent à expliquer je pense quelques traits de caractères de mon présent. En effet lors de mon expérience africaine je me suis agréablement surpris (plus ou moins en fait) de voir comment je me suis fondu dans le paysage, sociabilisé rapidement et presque naturellement avec une culturelle assez différente de la notre. Je pouvais mesurer cette réalité en observant une différence de traitement vis-à-vis d’autres étrangers, d’autres français. Tout ceci n’est pas quelque chose de précis, de quantifiable, mais une impression dégagé au fil des mois, en observant évoluer le regard qu’on porté sur moi des togolais que j’ai connu sur place, et en observant également le regard de ses mêmes togolais vis-à-vis d’autres étrangers, d’autres blancs. Sans aucunement me placer dans une catégorie à part et unique, je reconnais également ce caractère de socialisation que je nommerais caméléon, chez d’autres étrangers, d’autres français connu sur place. Cependant je me concentrerais ici sur la description de ma propre expérience. J’ai pu longuement échanger avec deux togolais, durant mon séjour de 5 mois dans la capitale. J’ai travaillé avec eux sur un projet artistique au sein de l’association. L’un est un autodidacte qui est compositeur de musique, l’autre un ancien pharmacien reconvertie dans le stylisme et la musique. Le premier, avec qui les échanges ont tout de suite été franc, m’a rapidement « qualifié » d’africain, en me le répétant plusieurs fois, « toi tu es africain », « toi tu es comme nous ». Tout cela avant soudainement de m’asséner ou bout de quelques semaines « mais tu te moques de nous en fait ». On été trois, une française, lui et moi. Et au cour de la discussion, j’avais parler français « comme un français », avec une diction, un phrasé, des intonations bien française. Cependant pendant tout le séjour, avec les togolais, sans réellement y faire attention j’avais rapidement pris leurs expressions dans leur façon de s’exprimer en français, les intonations. Tout cela allant avec la gestuelle, la manière de se comporter avec les autres, j’avais par mimétisme adopté en partie un ensemble de code sociaux des togolais avec qui je vivais depuis plusieurs mois. Et j’avais du le faire d’une manière plus ou moins naturel, de sorte que cet ami togolais ne s’en été pas rendu compte et pensais que « j’étais » réellement ce que je leur montrais. Ce constat a été le même avec le styliste qui au cours d’une discussion sur les différents stagiaires français présent dans l’association, m’a positionné comme un africain, « toi Lucas tu es africain ». Il a aussi fait la distinction entre ma situation, ceux qui essayent de s’adapter et arrive plutôt bien à s’intégrer et puis ceux qui ne passent pas ses barrières sociales fortes et qui restent cloisonné dans leurs monde antérieur et ne s’ouvrent pas à la société nouvelle dans laquelle il se trouve, dans laquelle ils voyagent, ils explorent, ils travaillent, pour un temps donné. Cette expérience a été pour moi significative, et je peux dire que durant la grande partie de mon séjour sur place - bien que finalement ponctuer d’un rejet vis-à-vis de l’association et une douleur parfois insurmontable sur certaines réalités locales – j’ai pu apprécié une adoption temporaire d’une société, de ses habitudes, de ses réalités sociales, culturelles, et me sentir pour un temps « chez moi », sans forcément, je pense, l’avoir recherché au départ.

Voir et réagir à la pauvreté dans un milieu inconnu

Qu’est-ce que la misère ? Ou elle se trouve ? Comment doit-on réagir face à elle ? Comment peut-on la décrire ? La penser, la comprendre, l’analyser afin de la combattre, ce qui est je l’espère quelques choses de commun à un grand nombre des sociétés qui peuplent actuellement la terre. Le larousse défini la misère comme une extrême pauvreté, une privation aigüe de besoins vitaux, manger, dormir, se loger, s’habiller, se sociabiliser, etc… On parle en France de misère sociale, d’exclusion, de chômage, d’appauvrissement culturelle sur fond de mondialisation rimant avec ploutocratisation, uniformisation, consommation et acceptation de différents systèmes de domination. Mais cette misère que l’on voit chez nous, ses différentes formes d’expressions, nous y sommes dans un sens habitué, elles nous constituent, nous habitent depuis notre naissance, notre enfance passée à l’intérieure d’une société particulière, inégalitaire et qui depuis le début nous a montré un degré de cette misère. Cela étant dit, je pense qu’il est alors difficile de se mettre de côté et regarder cette inégalité, ces différences, ces problématiques, sans les juger, les juger avec ce qui nous constituent au plus profond de nous-même. Vivant dans de beau quartier, dans une belle maison , appartenant à une famille aisée, que viennent nous dirent ses gens à la sortie du métro, dans les rues, désœuvrés, sans abris, faisant la manche ? Selon moi il nous renvoi cette image de notre société, une image qui nous dit que ça ne va pas, une image qui nous dit que nous avons échoué, une image qui nous dit que tout le monde n’est pas heureux, une imagine qui nous dit que nous, en tant qu’individu, nous avons participé à cela. Alors le fait que nous, nous soyons heureux, et que l’autre non, ainsi commence un conflit interne, une violence intérieure qui nous animent, un refus de voir la réalité en face, une remise en question presque instinctive de l’autre, celui qui n’a pas réussie. On en vient alors a des explications physiques, ethniques, économiques, sociologiques, des constructions mentales qui vous nous rassurer car expliquer dans un premier temps le pourquoi de la situation. Un exemple en France avec actuellement une remise en cause dans les textes, dans la lois, du chômeur. Il faut le responsabiliser. Il n’est pas majoritaire, nous (la masse) on a un boulot alors pourquoi lui n’en a pas, ça vient certainement de lui et non pas du système en place qui me confirme en tant qu’acteur de ma société. Mais cette situation restera conflictuelle à l’intérieure. Ce que je trouve intéressant et ce qui me pousse à voyager, c’est cette mise en perspective, ce changement de position constant, ces observations aux seins de sociétés qui me sont alors inconnus. Alors là j’ouvre plus grand les yeux, j’absorbent plus d’informations, je juge moins, enfin je crois, j’essaye. Je me retrouvent à regarder les évènements avec plus de recul, moins de constructions mentales préétablies. Même si à l’heure actuelle, à l’heure de la mondialisation, la globalisation de l’information, nous pensons tout savoir sur tout et sur tous le monde, nous avons déjà une petite (voir grande, à mettre en rapport à notre conditionnement occidentalo-impérialiste de départ) idée préétabli de la misère du monde, de l’autre, la misère du lointain, la misère en Afrique, la misère en Asie, la misère dans les favelas de Rio de Janeiro, la misère en Roumanie, la misère dans les pays arabes ravager par les guerres du pétrole et les guerres terroristes. Pour ma part, mon expérience togolaise en Afrique et cette expérience actuelle entre l’Inde et le Népal m’a permis de faire naître ses questionnements intérieurs. 

L’élément déclencheur a été vécu au Népal, à mon arrivée à Katmandou, la capitale. Après une nuit de train et quelques heures de bus depuis New-Delhi, je suis arrivé à la frontière indo-népalaise. J’ai traversée la frontière à pied, et ai pu voir très distinctement le changement de pays. La morphologie des népalais étant assez différentes de celle des indiens, bien que celle-ci reste diverse et variée selon la région de l’inde ou l’on se trouve. Voilà la première particularité qui m’a frappé en arrivant au Népal. J’ai tout de suite trouvé des gens accueillant et souriant, de manière plus franche que ce que j’avais pu ressentir en Inde. Me voilà installer dans un guesthouse du centre-ville, à partager une chambre d’hôtel avec un compagnon de voyage depuis bientôt 2 semaines. A deux pas de notre auberge se trouve Katmandu Durbar square, une place très fréquenté par les locaux et par les touristes, qu’on occupe souvent le soir pour boire un thé et observer la vie autour de nous. Et ça a commencé ici, une dizaine de gamins des rues, qui vivent là. Ils ont les vêtements déchirés, ne paraissent pas se laver souvent, respire de la colle dans des sachets plastiques, fume lorsqu’ils trouvent des mégots pas fini par terre. Et ils viennent nous demander de l’argent, demander un thé ou à manger. J’ai souvent entendu ses paroles de voyageurs mais aussi de travailleurs sociaux, qu’ils ne donnent pas d’argent à des enfants des rues car ils ne veulent pas les inciter à continuer… Qu’est-ce que ça veut dire ? Pourquoi se sentons obligé de juger la personne à laquelle on va donner de l’argent. Parce qu’on ne lui donne pas pour la personne qu’elle est ? Parce qu’on lui donne de l’argent en l’incitant à correspondre à notre mode de penser, de développement personnel ? « La drogue c’est mal, si je donne de l’argent a un clochard ou à un gamin des rues, ils vont avoir la possibilité de s’acheter de l’alcool ou de la colle ou d’autres drogues. Je ne veux pas participer à cela. » C’est là le raisonnement ? Je n’ai pas donné d’argent à ses enfants, je n’en connais pas la raison, je la cherche encore. Peut-être que j’avais peur qu’ensuite ils me demandent tout le temps avec plus d’insistance et en plus grand nombre, j’avais alors peur d’avoir à affronter cette réalité d’un monde de misère, de souffrances, d’inégalités, de manière plus soutenue. En Inde les touristes s’offusquaient en me racontant que « les gens te demandent de leur acheter de la nourriture, vont avec toi, tu repars et ils retournent dans le restaurant revendre la nourriture. » Et bien oui, ils ont compris que tu ne leurs donnerais pas d’argent, que tu veux les « nourrir », alors ils font en sortent de te plaire pour obtenir ce qu’ils veulent. Bien entendu on connais bien les histoires des familles qui ne sont « pas réellement » dans le besoin mais qui envoient leurs enfants en zone touristique pour gagner un peu d’argent en plus, au détriment de la scolarité de celui-ci. Quelles vérités, quels pourcentages ? Je ne sais pas, mais cela ne m’importe peux. Je voudrais me concentrer sur l’action même du don. Depuis mon voyage en Afrique je me suis dis que je ne donnerais pas aux gens dans la rue. Je l’ai pourtant fait en Inde sans trop savoir pourquoi. Mais je me suis dis une chose, cette participation, cette ouverture sur l’autre, celui qui semble avoir plus de besoins que soi, besoins auxquels je pourrais participer, je veux le faire via une action d’une durée étendue, dans le cadre d’un projet, une association, travaillant avec ses populations. Je ne l’ai pas fait en Inde, l’ai fait dans le cadre d’un stage au Togo, et j’espère le faire ici au Népal et plus tard dans ma vie futur. 

Bien que les liens entre les situations de misères dans les pays dit des tiers-monde et les situations plus voir beaucoup plus aisées au niveau global des pays dit développés ne sont jamais facile à établir, nous ne pouvons pas nier certains effet de domination du nord vers le sud. Une des différences flagrantes que je peux remarquer entre mon expérience togolaise et celle asiatique, c’est le lien direct fait par beaucoup de togolais à propos de leur situation et de mon implication personnelle, en tant que blanc, et avant tout en tant que français. En effet j’en ai déjà parlé, le Togo est une ancienne colonie française, qui a négocié son « indépendance » au début des années 60. Depuis la France, il est de coutume de dire que la vision gaulliste de l’empire coloniale français, sa puissance et son importance pour le pays est indéniable et doit être préservé à tout pris, perdure jusqu’à nos jours. À l’arrivée sur le territoire togolais je me suis intéressé à l’histoire du pays. Naturellement, j’en suis venu à m’intéressé d’un peu plus près à l’esclavage en Afrique, la colonisation et l’indépendance du Togo et les évènements socio-politiques du pays depuis.

mercredi 15 avril 2015

Découverte de l'association et des établissements scolaires

Une fois la période des fêtes passée, s'en est venu le temps du travail et de la mise en route du projet sur l'éducation porté par l'association Afrik'Avenir. Les premiers constats sont à mettre du côté de l'absence d'organisation au sein de l'association, visible au premier regard. Nous sommes arrivées pour mettre en place un projet d'éducation. En nos qualités d'étudiants en sociologie, nous n'avons pas la prétention de venir évaluer une pratique pédagogique, mais constater le fonctionnement des écoles observées, les possibles besoins de celle-ci et l'identification des possibilités d'action de l'association. Dans un premier temps, afin de commencer ce travail, le coordinateur général nous a présenter les établissements dans lesquels nous allions réaliser nos observations : école primaires, collèges et lycées, publics, privées et confessionnels. Notre étude devait porter au départ sur l'ensemble de Lomé mais au vu des limites, notamment en ressources humaines de l'association, cette idée de départ sera ramené au quartier d'Adidogomé. Un échantillon de 7 à 8 établissements sera visé pour cette première phase d'observation. Au cours de la prise de contact avec les différents établissements, certaines pratiques ont été mise à jour et différenciées. En effet, selon moi, cette prise de contact aurait pu se faire d'une certaine manière : récupérer le numéro de téléphone des secrétariats des différents établissements (par internet ou d'autres moyens), appeler et prendre rendez-vous avec les responsables, présenter le projet, attendre la confirmation de partenariat puis commencer à travailler avec l'établissement. Cette solution me paraissait être la plus « logique », la plus « efficace ». Cependant le responsable de l'association nous à présenter une toute autre démarche. Nous sommes allez en personne voir les responsables des établissements, qui n'était pas toujours disponible, pas toujours présent. Cela a donné lieu à plusieurs visites dans l'établissement. Nous avons convenu de rendez-vous puis sommes revenu présenter officiellement le projet avec une demande partenariat officiel. L'organisation hiérarchique de l'administration togolaise est très importante. Il est nécessaire pour un tel partenariat d'un établissement scolaire avec une association, que la demande officielle soit transmises à l'administration concernée. Dans la cas des établissements privées, la demande doit être diffusée au fondateur de l'établissement (le propriétaire). Dans ce dernier cas, un collège/lycée privé que nous avions sollicité et que nous avons relancé plusieurs fois n'a pas donner suite, sans jamais nous avertir de son refus. Ce premier contact avec le milieu éducatif au Togo a fait apparaître la forte présence de la hiérarchie, du respect du pouvoir. Les directeurs d'établissements étant très respecté par les professeurs, et les élèves très respectueux des professeurs. Très rapidement dans la phase de prospection du projet, nous avons été livré à nous même, le coordinateur nous « faisant confiance » pour gérer le déroulement du projet. Hormis quelques demandes éparses au cours de notre travail, il n'a pas mis le nez dans le déroulement de travail et nous a laissé libre de s'organiser, de prendre des rendez-vous et d'effectuer les semaines sans sa présence.

Globalement, ce fut un plaisir de venir présenter le projet éducation porter par l'association, tant les professeurs et la direction des établissements volontaires, nous ont accueillis avec plaisir, sympathie et respect. Considérations dures, froides et parfois agressives et dominatrices, de la direction envers les élèves d'une part et les enseignants d'autres part, me fait comprendre les attentes particulières des établissements quant à une proposition, aussi minime soit-elle, d'aide, de partenariat, d'apports quelconque. Dans la majorité des cas, les écoles sélectionnées n'ont jamais accueilli de bénévoles blancs par le passé (le bénévolat des togolais étant très limité selon les responsables de l'association, et les bénévoles étrangers viennent essentiellement des pays occidentaux ). Un certain nombre d'enseignants et de directeurs d'établissements l'ont répété, « le seul fait que les élèves voient quelqu'un qui s'intéresse à eux, ça les motivent ». Actuellement, les élections présidentielles approchent, les revendications sociales sont très fortes notamment au sein de l'éducation. Les grèves sont fréquentes et perturbent le travail d'observation.


En conclusion de cet article, voici quelques impressions sur ces premiers échanges avec les acteurs de l'éducation togolaise. Je dirais dans un premier temps que les semaines d'observations effectués ont été le révélateur d'une réalité médiatique qui nous est diffusée partiellement en occident. Se retrouver dans une classe de 6ème avec 130 élèves dans une salle, serré sur un banc. Sentir la chaleur de la classe, constater l'ancienneté des programmes scolaires, certain programme d' SVT de premier cycle sont vieux de plus de 20 ans. La violence de certains professeur au sein des classes (il est légalement interdit depuis plusieurs années maintenant tous sévices corporels ou morales sur un élève), convaincu de leurs méthodes, est un événement qui m'a touché. Bien entendu, il ne s'agit pas dans un tel moment, de venir jouer les donneurs de leçons et se positionner ouvertement en défenseur « universel » d'une éducation occidentale qui a banni ces pratiques il n'y a que peu de temps. Il s'agit plutôt de comprendre pourquoi cette violence est aussi présente à l'école et dans l'éducation des enfants. Ce positionnement d'observateur est pour moi une attitude que je dois garder au maximum tout au long du stage, tout en partageant nos pratiques occidentales, sans jamais juger, hiérarchiser ou pire dédaigner certaines pratiques locales sans avoir saisi toutes leurs mesures et profondeurs.

dimanche 15 mars 2015

Immersion totale


Les récits de voyage peuvent apparaître parfois comme spectaculaire. Mes excursions personnelles m'ont fait découvrir la muraille de Chine, le Macchu Pichu, les paysages montagneux et verdoyants de la Nouvelle-Zélande. J'ai travaillé en Amérique du Sud dans une plantation de café dans la jungle péruvienne, dans un lieu sans eau (pas de canalisation) ni électricité, en devant faire le feu pour faire à manger. L'arrivée au Togo s'est déroulé de la même manière : j'ai eu au cours de mes premiers moments sur place, l'opportunité de manger du chien et du varan, boire du Sodabi (alcool fort local dérivé du vin de palme) très fréquemment, surtout en cette période des fêtes de fin d'année. Autant de codes sociaux qui font rupture avec ceux pratiqués en France. Au delà de mon appétence pour ses excentricités liées au voyage, à la découverte de l'inconnu, il me semble nécessaire de passer par ses étapes d'intégrations, ses pratiques communes qui nous permettre de partiellement nous confondre à la population locale. Refuser, dans le cadre d'une rencontre professionnelle avec une famille d'un petit village autour des montagnes de Kpalimé (capitale touristique du Togo situé à 150km au Nord de Lomé), un verre de Sodabi à 6h du matin, relevant de la coutume et des traditions, pouvant être très mal vue voir inacceptable pour un togolais. Il en va de même lorsque l'on a du mal à finir une assiette de foufou en sauce (boule à base de manioc bouilli et pilé avec de l'eau avec une sauce pimenté) offert par nos hôtes, en quantité très abondante. Le fait de sentir la nourriture que l'on nous propose est également très mal vue, synonyme de remise en question de la qualité de l’accueil, la qualité de l'invitation de notre hôte. Voici autant de codes autour de la nourriture et de l'alcool qui font différence et appel à un dépassement de soi. Je ne vois aucun intérêt dans un premier temps à marquer sa désapprobation directe, son incompréhension vis-à-vis de certaines pratiques hospitalières, sociétales, dans la mesure ou j'ai choisi d'être dans cette situation. Lorsque l'on rencontre l'autre, qu'on vit dans son univers, avec ses coutumes, ses codes, ses exigences, il est à mes yeux nécessaires, au moins dans un premier temps, de ne pas trop « penser », réfléchir et à ne surtout pas comparer ses pratiques à celles dont nous sommes coutumier. Cette première phase de découverte des pratiques et coutumes au Togo pose une question centrale au cours de ce moment d'observation : dois-t-on abonner une partie de soi-même, mettre de côté certaines valeurs, attachements personnelles le temps de l'observation, de l'exploration, de la découverte, de la compréhension de l'autre ? Est-il possible de faire autrement, alors que nous voulons engager une compréhension la plus complète, la plus juste possible, de l'autre, de ses pratiques et de ses positionnements, de ses compréhensions du monde ?