mardi 29 mars 2016

L’errance et l’altérité en voyage comme moyen de s’oublier soi, de résister, de se redécouvrir

« On ne peut résoudre un problème avec les mêmes modes de penser qui l’ont créé. »(1) La vie animal est faite d’interactions, d’échanges, de partagent, dans un maintient d’équilibre de l’écosystème, non de compétitions, d’égoïsme, d’individualisme. On a besoin de l’autre, on passe notre temps à tisser des liens.(2) C’est en partant de ses deux postulats que j’envisage le voyage, comme une recherche de réponses à des préoccupations de départ individuelles, à travers le partage, la découverte avec l’inconnu, avec l’autre. Une réflexion avec l’autre à propos de certaines dimensions et questionnements communs de l’existence. Ce processus d’altérité, au cours du voyage, peut-être réalisé d’une manière construite, recherché, identifiée, comme par exemple lors d’un séjour organisé, d’une rencontre familiale ou professionnelle, une visite touristique. Mais bien souvent ce type de voyage ne veut pas découvrir, s’ouvrir à l’inconnu, mais confirmé une connaissance déjà actée du pays ou de la culture, avant le départ.(3) Cette rencontre peut également être fortuite, non rechercher au premier chef, ou penser préalablement. Je me situe dans cette deuxième conception du voyage, dans ce que je nomme l’errance, un voyage qui n’a pas vraiment de temporalité, de destinations précises, d’objectifs particuliers. C’est au cours de ce voyage ou l’individu s’ouvre à tous les possibles, se déleste de ses obligations sociales, familiales, institutionnelles, professionnelles, qu’il peut s’ouvrir à la rencontre d’une façon singulière, insoupçonnée, imprévisible, atteignant ainsi un moi nouveau, jusqu’alors inconnu. Cette dimension de l’imprévu, que j’expérimente à travers l’errance, laisse place à mon sens à beaucoup de possibles. Un voyage qui fait figure de retour à l’essentiel, d’une réappropriations de ses libertés individuelles, d’un refus de l’aliénation. Au cours de ces voyages, les besoins sont primaires, on cherche à se loger, on cherche à se nourrir, et c’est à peu près tout. Le reste du temps j’erre, je marche dans les rues du lieu ou je me situe, je m’oublie à moi-même, je plonge dans l’univers du pays ou je me trouve. La vie passe devant mes yeux, les opportunités également. D’autres voyageurs qui veulent découvrir une activité particulière, visiter un lieu historique, rencontrer un local de la région ou du pays, je suis ouvert, j’ai le temps, je ne me pose pas de question et saute sur l’occasion. Autant de moyen pour sortir du quotidien, s’ouvrir à d’autres choses, partager des expériences, se découvrir des passions, des intérêts nouveaux. Cette forme du voyage permet à mon sens une réel remise en question de ses actions, ses croyances, ses valeurs, comme l’illustre cet extrait d’un ouvrage à propos d’identité et d’altérité : « Le contact des cultures est source d'enrichissement mais aussi de questionnements et d'interrogations. Il bouleverse toujours l'individu, si celui-ci n'est pas seulement spectateur mais obligé de vivre dans la durée selon deux codes culturels différents, parfois contradictoires et irréconciliables, des choix, apparents ou réels, s'imposent à lui et l'amènent à réévaluer ses croyances et références de base en fonction du contexte, ou encore à se repositionner dans un parcours de vie afin d'inclure de nouvelles perspectives identitaires et parfois à questionner son appartenance à un groupe ou des groupes. »(4) L’errance comporte également cette univers de la marche, de la déambulation sans but précis, qui nous offre de formidable moment de penser, de réfléchir, de contempler, de laisser aller son esprit. « Voyager à pied signifie s’abandonner à l’espace et au temps. »(5) Cette pratique représente pour moi un formidable moment de résistance, de ne pas se plier à cette course éperdu vers la vitesse, le rationalisme, l’action chronométré, millimétré, ordonné, hiérarchisé. L’errance comme espace de réflexion, de réappropriation de soi-même, de contestation, de parole. Je conterais ici l’histoire de S., ce jeune québécois rencontré à mon arrivée à Mumbai, en Inde. Ce jeune homme avec quelques tatouages sur un corps frêle, n’a pas grand-chose dans son sac à part son hamac, sa guitare, une écuelle et un couteau. Son histoire, étudiant en littérature qui est amoureux de poésie, au bout de la première année, il n’a pas pu. L’aliénation, la consommation, les possessions, il s’en est petit à petit débarrassé, détourné, vivant depuis quelques années dans les rues, entre le Canada et les Etats-Unis, jouant de sa guitare. Il trouve avec plus ou moins de facilité sa nourriture dans le gaspillage constant et important de ces grandes villes « modernes ». Travaillant quelques mois d’été en pleine air, il vit sa liberté, qui transpire son être quand il chante et joue son instrument. Il se cherche, c’est trouvé, veut encore s’éprouvé, par le voyage, la méditation, cette découverte de l’Inde. Ainsi une multitude de jeunes prennent la route en se dressant contre une situation qui les dépassent, une réalité qu’ils ne comprennent pas, un système dont ils ne veulent, qui ne les respectent pas, ne les écoutent pas.

(1) Citation Albert Einstein
(2) Albert Jacquard, vidéo youtube, extrait émission Noms des dieux, RTBF, 1994, 3m27s
(3) Article du monde, « Demain, le touriste sera un voyageur sage », Jean-Didier Urbain, 17 Mars 2010
(4) Identités, acculturation et altérité, C. Sabatier, H. Malewska, F. Tanon, 2002, Paris, L’Harmattan
(5) L’ivresse de la marche, E. Fisset, Paris, Transboréal, 2009, p. 13

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