mardi 22 mars 2016

Participer, s’intégrer, une recherche riche de sens

Après relecture des politiques de l’enquête de Didier Fassin et Alban Bensa, cela m’a permis d’identifier des éléments de contexte pouvant justifier un tel projet d’étude qu’a été cette mission au sein d’une association togolaise. Le sentiment de départ qui m’a poussé à aller à la rencontre des togolais, si ce n’est la curiosité voir la recherche de soi, est également un sentiment d’injustice, de déséquilibre, d’incompréhension, laissant place à une volonté, même inconsciente, de réparation de cet état des choses qui semble irrationnel, arbitraire et insoutenable pour un individu qui a grandi sous les paroles universalistes, les droits de l’homme et des grands discours sur l’humanité. « D’une certaine manière, faire du terrain revient à rendre justice, à voire réhabiliter des pratiques ignorées, mal comprises ou méprisées.»(1) 

C’est ainsi que, sans pour autant vouloir impacter sur la situation sur place, j’allais sur le terrain avec la volonté de comprendre les différences, les particularités mais aussi les injustices et disfonctionnements présupposés de la société d’arrivée. J’étais involontairement mais invariablement assujetti à un positionnement de supériorité vis-à-vis de la société togolaise, se traduisant par une forte compassion de départ. Je me souviens encore cette période des fêtes passées à Lomé avec les membres de l’association, c’était le moment de la rencontre, de l’intégration. J’ai très vite adhéré à cette simplicité de la rencontre, du partage, faisant facilement abstraction de certains éléments extérieurs comme la pollution, la saleté, la nourriture épicé, les sollicitations multiples et les regards parfois insistant. Pendant près de 10j j’ai fêté, j’ai mangé, j’ai bu, j’ai beaucoup parlé, me suis présenté, j’ai réalisé mon intégration social au sein de mon nouvel environnement, la société togolaise, en lieu et place de l’association Afrik’Avenir et de ses membres. Je pense que cette première phase, nécessaire lors d’une mission de terrain au sein d’une culture bien différente de la notre, je l’ai réalisée d’une manière sincère et plus tôt abouti. J’étais heureux d’être sur place, je trouvais que j’étais en adéquation avec ce milieu nouveau, j’avais hâte de commencer à travailler sur le projet de l’association. J’avais entamer un processus de compassion, d’amitié, d’intégration et de découverte de la société togolaise à travers l’association et ses membres. Nous avons alors engager les discussions avec les différents établissements scolaires. Beaucoup de protocoles, beaucoup de hiérarchie, des délais différents, animent déjà la mission et attirent mon attention. Après avoir reçu toute l’attention, j’observe une distance progressive entre le responsable de l’association, notre projet ainsi que ma collègue et moi. Est-ce que c’était prévu ? Je ne le sais pas. Toujours est-il qu’après nous avoir brièvement présenté la mission, avoir été ensemble dans les premières écoles, nous avons été laissé libre de nos mouvement et en autonomie quasi complète vis-à-vis du projet, sur le reste de la période de travail. La justification de départ étant de nous laissez seul réaliser les observations sur le système éducatif, afin d’avoir un regard totalement extérieur à la situation, ce qui est compréhensible. Petit à petit c’est dégagé les priorités de l’association, paressant être plus axées sur la recherche et la venue de stagiaires que la coordination et la réalisation effective des projets sur place. Les réunions, au départ prévu de manière hebdomadaire, entre les bénévoles et le coordinateur général n’ont jamais eu lieu ou presque. Les réunions étaient principalement un dialogue individuel de quelques minutes une fois de temps en temps entre le bénévole et le responsable. La communication n’était pas vraiment plurielle et les moments, horaires de travail n’ont jamais été bien défini. Ce qui a créé par la suite des incertitudes et des revendications de ma part afin de clarifier cela. Je pouvais observer alors un basculement dans la considération au départ que j’avais pour les togolais, et notamment vis-à-vis de l’association et du porteur de projet.(2)

Au départ, j’ai écouté avec enthousiasme et bienveillance les difficultés de l’association, notamment du porteur du projet, à mettre en place ses différents actions. Mais à la suite de l’écoute des discours, j’ai pu entrevoir les problématiques sous différents angles, en observant dans l’action, au jour le jour, les membres de l’association au travail. Le fait d’être venu avec cette curiosité, cette compassion, cette soif de découverte, ce sentiment d’égalité dans la relation à l’autre bien que de culture différente, m’a permis d’être très proche des membres de l’association et ainsi accéder rapidement à des discours riches de signification. Je peux rapprocher cette démarche de recherche à ce que l’on nomme le « going native »(3), dont parle Alain Bensa. Il développe l’idée selon laquelle l’implication participante serait tout aussi légitime que l’objectivisme du chercheur en arrière. Pour décrire ce positionnement de départ au cours de ma recherche, je vais relater trois discours de personnes distinctes, permettant un éclairage sur les différentes dynamiques d’acteur au sein de l’association. 

Le premier venant du coordinateur général de l’association, personnage principale et premier interlocuteur au cours de mon expérience sur place et durant le travail sur la mission en éducation. Au départ nous avons beaucoup parlé à propos des visions de l’association, des projets, du futur, avec beaucoup de rapprochement idéologique. Je dirais que ses expériences répétées auprès de mission humanitaire au Togo lui ont donné un vocabulaire, un argumentaire sur le développement que je comprenais, je partageais et dont j’en défendais également les valeurs. Nous parlions de la même chose, avec le même vocabulaire et la même idéologie. Au fur et à mesure du temps, le discours s’est tourné vers les difficultés opérationnelles en lien aux projets de l’association. Et depuis ce moment, le coordinateur n’a eu de cesse de se victimiser, de rejeter le disfonctionnement sur ses collaborateurs, sur nous les stagiaires bénévole. Si je ne nie en aucun cas les erreurs possibles de ses différents partenaires, je note simplement de manière curieuse la récurrence du mécanisme de rejet. Je pense que cela est du à une volonté de préservation de son activité, son projet de vie, en voyant tous conflits approchants comme une possible menace au projet. En ayant personnellement vécu tout au long de mon séjour, les sollicitations incessantes de beaucoup de togolais, je comprends ce mécanisme de défense développé par cette personne. En effet, plusieurs personnes m’ont demandé de l’argent, demander une aide pour obtenir un visa pour aller en France, demander de leurs donner ce que j’avais sur moi (montre, portable par exemple), sous le prétexte que j’ai beaucoup et que je pourrais racheter tout ça une fois en France. J’ai toujours vu cette démarche comme une solution ultime, un manque d’autres opportunités, manque de choix (difficulté de trouver du travail dans la capitale, faible revenu dans les campagnes, ne permettant pas d’accéder à un niveau de confort matériel supérieur. Si les faits socio-économique peuvent expliquer ses comportements, il faut aussi pointer du doigt la vision historique de l’aide, de la coopération, mais aussi les pratiques culturelles locales. D’un côté nous avons des étrangers blancs, souvent en majorité français qui sont venu avec toute la bonne volonté du monde pour aider, en donnant de l’argent, donnant des vêtements, construisant des écoles, des hôpitaux, des puits d’eau, etc… Cette démarche bien intégré par la population local depuis des années, se traduit par une demande incessante, presque naturelle de la part de la population envers l’étranger. Il est alors compliqué de parler d’un échange, d’un travail en coopération. D’un autre côté, de manière culturelle, la personne qui part du village pour aller travailler, ne a pas le faire pour elle, mais pour si ce n’est pour tous le village, au moins pour sa famille. Cela aussi créé des tensions, des attentes vis-à-vis de ses connaissances, qui en vous voyant gagner de l’argent, des possessions, se rapproche et attendent un geste de votre part. Ici je raconterais l’histoire de cet économiste togolais venant d’un village du Nord. Il s’est installé à la capitale pour y faire ses études puis il a trouver un travail et s’est installer, fondant une famille. Un cousin du village est venu un jour pour trouver du travail. Il est rester à la maison, nourri et logé, un certain temps. A un moment donné la famille n’ayant pas assez de nourrir pour tous le monde, a du se restreindre, afin de continuer à subvenir au besoin de leur hôte. Cette situation est encore très commune au Togo et vient s’entrechoqué de manière frontale et directe à un développement international, cette mondialisation qui met en avant les droits et libertés individuels. Je pense que c’est cette problématique qui cristallisent les agissements du coordinateur général qui veut se développer de manière individuel mais est rappelé à l’ordre par son entourage, sa famille, mais surtout ses amis et connaissances du quartier ou ils a toujours grandi à Lomé. Dans le même temps ils ne s’entourent en majorité que de ses connaissances de toujours, gage de fidélité et de confiance selon lui, que ce soit de manière consciente ou inconsciente. 

Le second discours qui suit la logique du précédent vient d’un ami d’enfant du responsable de l’association, qui alors que j’été sur place a pris des fonctions de logisticien, cuisinier et plus globalement homme à tout faire au sein du logement de l’association à Lomé. Au bout de quelques semaines, j’ai pu entamer un dialogue plus ou moins ouvert avec S. (le logisticien) L’élément déclencheur a été le départ du responsable pour un projet dans le centre du pays, je me retrouvais tout seul avec S. Nous sommes allez le soir, boire un verre en ville et rencontrer ses amis. Assez rapidement il a commencé à parler de ses difficultés au sein de l’association. Des problématiques précédentes de l’ancienne association qui a été dissoute, dans laquelle il avait pris part, à Kara dans le Nord du pays. J’ai senti qu’il se sentais oppressé et qu’il avait besoin d’évacuer sa frustration, son mal être, peut-être se justifier de certaines attitudes qu’il avait pu avoir au cours de la vie en collectivité a sein de l’association. Il affichait ainsi une incompréhension vis-à-vis d’E. (le coordinateur), un manque de confiance dans la relation avec E. et un désamour pour son travail. Mais alors que je lui posais la question du pourquoi avoir accepté un tel travail, il me répondis qu’il n’avait pas le choix, qu’il étais technicien en télécommunication et que les deux seuls entreprises du secteur qui emploient, n’acceptent pas d’employer des gens sans relations à l’intérieur de l’entreprise. Ces discours, selon moi, mettent évidence deux complexités distinctes. La première, la plus visible, est la limitation du choix, professionnel, géographique, intellectuel, social, de la population togolaise. La situation sociale, économique, politique, limitent de manière indéniable les possibles des individus. La seconde complexité vient des pratiques culturelles qui vont pousser les togolais à rester entre eux, à l’échelle d’un quartier, à l’échelle d’un village, d’une famille. Ils ont en effet intégrer le fait qu’en allant chercher ailleurs, ça sera forcément moins bien, forcément source de problème, parce que ça ne vient pas des milieux sociaux construis et éprouvé depuis l’enfance. Ses deux discours, à mon sens, nous montre des manières de réfléchir, de penser, de s’imaginer au sein d’une société, qui sont différentes de celles que l’on connait en France. Le rapport à la famille, à l’ethnie, est plus fort, parfois plus fort que les individualités. C’est cette première épreuve de l’appartenance au groupe qui a je le pense posée les premiers doutes sur mon adhésion au projet, et remis en question une partie de la compassion de départ, cet universalisme qui a motivé ce déplacement géographique. 

Le troisième venant d’un ami, K., de plusieurs membres de l’association et notamment, un ami d’enfance ayant grandi dans le même quartier qu’E. La relation que j’ai eu avec K. a toujours été particulière, dû fait de son niveau social, sa situation socio-économique différente de celle de ses amis. En effet ses parents ont des métiers qui leurs permettent de subvenir aux besoins de leur enfant, entre autre lui payer ses études et le soutenir financière pour qu’il n’ai pas à travailler. Il s’est d’ailleurs lancé dans un business de salle de jeu, en parallèle de ses études. En précisant cela, je veux montrer que ses possibles, ses choix de vie, sont plus diverses que ceux des deux interlocuteurs précédent. Il a été, à l’instar de plusieurs amis qui ont gravité autour de l’association plusieurs fois, un simple spectateur des agissements d’E. au sein des différentes structures qu’ils a créés. Selon lui, les associations dans lesquelles E. a travaillé ou celles qu’ils a montées ont toujours été source de problématiques plus ou moins grave. Il m’a tour à tour parlé de détournement d’argent, pression policière, séjour en prison, visant E. Sans être plus précis il a ainsi pointé du doigt les relations de pouvoirs d’E. avec des policiers, des personnages tournant autour de l’association et venant selon lui jeter le trouble dans les comptes de l’association. Sans avoir de preuves, de fait tangibles, ses zones d’ombres autour de l’association, autour du responsable, ont fait naître dans mon esprit un sentiment de distance, de suspicion par rapport aux projets de l’association et aux volontés réelles de l’acteur principal. Cette démarche de départ, d’ouverture et de partage sans retenu avec l’ensemble des membres de l’association m’a permis d’accéder à des témoignages authentique bien que chacun animé par une dynamique spécifique et orientée. 

Je pense que ses deux extraits des politiques de l’enquête résume bien mon positionnement de chercheur pris pendant mon séjour togolais. 

« L’engagement de la subjectivité dans la recherche de l’objectivité me parait être finalement l’une des voies royales de l’enquête de terrain, dans la mesure où c’est en agissant comme l’autre qu’on le comprend, c’est-à-dire qu’on accède à la description au plus près de ce qui survient. » (4) 

« Il n’existe pas d’information libre ou pure, indépendante de ses conditions d’énonciation qui nous renseignerait sur des essences sociales locales ou universelles. … Pour les sciences sociales, rien que de l’histoire, du local et du relatif à décrypter sans cesse et à redécrypter. »(5) 

En conclusion de cette article je me poserais plusieurs questions vis-à-vis de la réception de cette parole étrangère dans ce contexte de travail, de coopération dans le cadre d’une mission dite humanitaire. Le postulat principal de mon exploration, que ce soit en Afrique au Togo ou dans tout autres situations de voyages et de rencontre avec d’autres cultures, c’est de se positionner toujours en temps qu’observateur, que spectateur, quoi qu’il se passe ne pas juger, jugement qui ne serait pas adapter car serait pensé depuis un point extérieur à la société dans laquelle le chercheur réalise son exploration. Mais au cours de cette exploration, j’ai pu constater des positionnements individuels particuliers donnant lieu à des dissonances avec mes conceptions personnelles des relations entre individus, l’idée de justice sociale, de méthode de travail, de communication de groupe entre autres. Alors que le travail est entamé, que j’avais validé l’idéologie de départ, je m’aperçois en cours de route que mes perceptions ont changé et que je ne suis peut-être plus en accord avec les positionnements et agissements de l’association. Dès lors, comment réagir, quel positionnement adopté. En tant qu’individu ayant un contrat avec l’association et une mission a réalisé d’une part, en tant que chercheur d’autre part. Ma réponse vis-à-vis de cette mission au Togo a été il me semble la perte de confiance vis-à-vis du porteur du projet, une remise en question de sa légitimité. Si par soucis de remplir les termes du contrat passé j’ai été au bout de la mission, ce n’était plus par conviction, par empathie ou par plaisir. 

(1) BEAUD S., WEBER F., Guide de l’enquête de terrain, La Découverte, Paris, 1998 
(2) Premières notes du journal de bord datant du 17 janvier 2015, 3 semaines après l’arrivée 
(3) Les politiques de l’enquête, p.25, FASSIN D., BENSA A., La Découverte, Paris, 2008 (4) Les politiques de l’enquête, p.37, FASSIN D., BENSA A., La Découverte, Paris, 2008 (5) Les politiques de l’enquête, p.28, FASSIN D., BENSA A., La Découverte, Paris, 2008

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