mardi 12 avril 2016

Le voyage comme une recherche du tout et des parties, dans l’univers du sens et non des chiffres

Après la lecture du livre « Penser global » d’Edgar Morin, j’ai mis ses mots en relation avec mes découvertes asiatiques (un voyage de 7 mois et demi entre l’Inde et le Népal) à travers la médecine ayurvédique , le yoga et la méditation. Dans son livre, Edgar Morin met notamment en avant le manque de prise de conscience collective à l’heure actuelle. Il met cela en relation direct avec la « difficulté à penser le global, c’est-à-dire la relation entre le tout et les parties, les parties et le tout, les interactions, la complexité alors que si le processus se poursuit, nous courons à la catastrophe. »(1) Il parle des limites du quantitatif dans nos sociétés actuelles alors même que dit-il « l’essentiel des êtres humains échappe au calcul : le sentiment, l’amour, la joie, la tristesse, le chagrin, la douleur, la haine. »(2) C’est en effet dans cette optique que nous pouvons visualiser le voyage, la recherche de sens, la rencontre avec l’égalité, sans jugement de valeurs ou jugements quantitatifs, basés sur des données économiques, sociales ou encore politiques ou géographiques bien trop étroites pour la complexité du monde, du vivant et des individus. La rencontre au cours de mon dernier voyage m’a amené à commencer la pratique du yoga rapidement après mon arrivée et j’ai alors plongé dans un univers jusqu’alors inconnu. Ou du moins des représentations presque fantasmées, l’image du yoga pour moi étant depuis la France, une vision d’une gymnastique pour personnes d’un certains âge. Autant dire que j’ai vite été absorbé par toutes les singularités, subtilités et interconnections de cette pratique qui va de la compréhension du corps, le contrôle de la respiration, jusqu’à la considération du spirituel, la volonté de réalisation dans la pratique de la méditation en tant que moyen pour en quelque sorte « dépasser ses pensées ». Voilà une explication de l’utilisation du yoga en occident, donnée par une anthropologue des religions, spécialisé notamment dans les textes védiques et le yoga : « Le yoga, entre autres voies, se trouverait ainsi chargé d’une mission particulière de réparation ; il viendrait en quelque sorte combler un vide, rappeler la place de l’être, du « laisser-être » et de la gratuité dans un contexte où l’humain ne se juge et n’est jugé qu’à ses actes et aux effets positifs objectifs qu’ils produisent. »(3) Le yoga s’est démocratisé en Europe et aux Etats-Unis, à partir des années 70, notamment en pleine période post guerre du Vietnam, après le choc pétrolier de 72/73, Mai 68, faisant partie d’un mouvement d’émancipation spirituel, social et un contre-pied pris par une partie de la population vis-à-vis d’un modèle capitaliste toujours plus compétitif, normatif, quantitatif, qui a petit à petit imposé comme seul modèle valable dans la quête du bonheur, la consommation et l’accumulation de richesse, de biens matériels. La découverte de cette pratique physique est spirituel qui se veut faire le lien entre le corps, l’esprit, nos énergies vitales (yoga signifiant l’arrêt (la cessation, la stabilisation) des tourbillons (agitation incessante, perturbations) de la conscience. Alors seulement « se révèle le Témoin (le Soi) établi en lui-même, définition donnée dans les Yoga-sûtras de Patanjali) a « fait ses preuves » vis-à-vis d’une partie de la communauté scientifique internationale. Nombre de travaux sont diffusés (toujours sous une faible médiatisation) et démontre les bénéfices multiples du yoga et d’autres disciplines et connaissances venues d’Orient notamment la médecine Ayurvédique (étant l’une des plus vielle du monde), la médecine chinoise (qui ne connait pas un proche qui est entre autre aller chez un acuponcteur en Occident ?), la méditation et le Tai-chi (étant une variante du yoga travaillant également sur l’équilibre des énergies du corps). Pour citer quelques exemples, l’asthme se soigne particulièrement bien avec la pratique du yoga, certain exercices respiratoires (pranayama), certaines postures physiques spécifiques (asanas) ; la méditation a raison de quelques minutes par jour obtient de très bon résultat pour la lutte contre l’anxiété, le stress, la dépression. Même si la science moderne veut calculer, comparer, hiérarchiser, la pratique du yoga ou de la méditation se ressent, se vie au quotidien. Mon expérience personnelle, à la suite d’une pratique plus ou moins régulière depuis plusieurs mois maintenant, peut en attester. Ce n’est pas quantifiable, physiquement palpable, mais je me sens « mieux », mes pensées sont moins éparses, nombreuses et incontrôlés, mon corps est plus détendue. Ce constat a été partagé par plusieurs occidentaux rencontrés en inde, venus des quatre coins du monde pour chercher « l’apaisement », « le soin de douleurs chroniques que la médecine moderne n’a pas su soigner », ou encore un métier dans le bien-être (les formations pour devenir professeur de yoga sont très rependu en Inde). Un camionneur chilien de 60 ans, rencontré dans un ashram me disait que cette pratique le « recentrait », lui donnait du plaisir, de la paix intérieur. La lecture de plusieurs ouvrages pendant son séjour lui été apparue comme tout un ensemble de « vérités » qu’il pouvait expérimenter et vérifier au quotidien. Des messages de tolérance, de compréhension de soi. On retrouve ici les mots d’Edgar Morin lorsque l’on vient à parler de système global, de vision du tout en même tant que les parties, de la considération d’une seule et même entité (le monde du vivant), d’une grande communauté (celle des hommes) mais de leurs particularités individuelles inaliénables (la recherche de soi-même). Au cours de la pratique du yoga, le voyage m’a amené à vivre une expérience de 5 semaines dans un ashram, sorte de « monastère yogique », qui développe la pratique du yoga, de la méditation, d’une méditation collectives (Satsang) faite de chants spirituels et dévotionnels, d’une alimentation végétarienne et une pratique du bénévolat (karma yoga). Ce temps passé, un peu coupé du monde, était vu par Swami Sivanada, un maitre yogique, ancien médecin du début du 20ème siècle qui a été le premier a exporté le yoga et a développé une pratique adapté aux occidentaux, comme un moyen de se ressourcer, se recentrer sur soi-même, voir même se découvrir ou se redécouvrir individuellement. Son enseignement s’inscrit dans une continuité, un processus de vie, fait d’un ensemble de petits pas. Une de ses formules célèbres étant « Eat a little, Drink a little, Sleep a little, Meditate a little, Exercise a little, etc… ». Ces moments passés à l’ashram dans le sud du Kerala étaient vu pas son directeur actuel comme un point d’observation extérieur au monde occidental, un moment de recul par rapport à son existence, par rapport à ses pratiques, à son métier, sa situation social, son rapport à soi. Je met directement ces paroles en lien avec une phrase d’Albert Einstein : « On ne résout pas les problèmes avec les modes de pensée qui les ont engendrés ». Dans cette idée de réfléchir sur les problématiques de nos sociétés modernes, il apparait logique voir même vitale d’aller voir ailleurs, de se confronter à d’autres modes de pensées, d’autres façons d’appréhender la vie, la recherche du bonheur, le développement intellectuel, social voir spirituel de nos sociétés. Depuis la découverte de la poudre explosive venue de Chine et sa transformation en arme à feux, il est de coutume de dire que l’Europe et plus tard les Etats-Unis ont pris un ascendant technologique considérable sur l’ensemble de la planète et ont pu asseoir leur domination dans leurs soif de conquêtes et leurs « missions civilisatrices ». Mais cette domination technologique et économique a fait table rase de la spiritualité, et de multiples sciences des plus avancées des peuples conquis. Un exemple étant la civilisation Incas. Lors de ma visite du Machu Picchu, grande cité Incas qui était en fait un exploratoire astronomique très poussé, le guide m’a expliqué que les espagnols en arrivant ont détruit des grandes vasques qu’ils pensaient être de simple mortier. En réalité ses vasques servaient en y mettant de l’eau à observer les étoiles par réfractions et permettaient aux Incas d’établir des calendriers lunaires très avancés, organisant ainsi avec précisions leurs agricultures. Ce peuple a ainsi fait pousser du Maïs à plus de 1000m d’altitude par la méthode dite de l’escalier, à diversifier les cultures et développé une civilisation qui s’étendait sur presque l’ensemble de l’Amérique du Sud. En faisant une analogie, on peut dire que la science modernes sociétés modernes, avec cette esprit de supériorité par rapport aux autres peuples et notamment envers l’Orient, rechigne encore à s’ouvrir pleinement à ces sciences et ces médecines millénaires qui abordent notamment la santé et le corps d’une manière bien différentes. Je citerais encore ici Edgar Morin. « Tout cela est incompris de beaucoup d’économistes, incompris de tous ceux qui vivent dans l’univers du calcul. Encore une fois, la quantification et le cloisonnement sont les ennemis de la compréhension. »(4) C’est une invitation au décloisonnement et à l’ouverture vers une compréhension de manière globale à laquelle nous invite ici Mr Morin, une recherche de sens qui va au-delà de la quantification, du rationalisme, un rationalisme toujours plus désincarné sans fondement idéologique clairement défini. Edgar Morin dira à ce propos : « Nous devons éviter ce qu’on appelle la « rationalisation », c’est-à-dire des systèmes logiques, mais qui n’ont aucune base, aucun fondement. Nous devons éviter la dogmatisation, c’est-à-dire le durcissement de nos idées, le refus de les confronter à l’expérience. Nous devons abandonner une rationalité fermée, incapable de saisir ce qui échappe à la logique classique, incapable de comprendre ce qui l’excède, pour nous vouer à une rationalité ouverte connaissant ses limites et consciente de l’irrationalisable. »(5) A travers le voyage, à travers la rencontre de l’autre, il est possible d’effectuer ce mouvement d’ouverture au-delà d’une logique classique, un partage des connaissances, des logiques, des croyances, des sciences du monde, entre toutes les communautés. Cette ouverte intellectuelle qui n’est possible que lors de cette échange avec autrui, celui qui fait différemment, pense différemment son rapport à soi, son rapport à l’autre, son rapport à la nature. Encore une citation de son livre qui résume bien l’état d’illogisme dans lequel nous sommes actuellement. « Le paradoxe, c’est que la civilisation occidentale, elle-même en crise, se présente aux pays en voie de développement comme étant la guérison, alors qu’elle porte en elle la maladie. »(6) On ne peut continuer à se développer et à chercher des solutions en restant campé sur nos acquis, nos gloires passées, cet esprit encore toujours présent de domination, de supériorité du monde occidentale. L’urgence écologique, sociale, économique, politique, nous empêchent de continuer de rêver à un avenir meilleur sans remettre en cause quelques fondements de notre modèle de société moderne. C’est encore une fois et je le répète, par la rencontre avec autrui, par la réflexion en communautés internationales, la mise en commun sous un principe d’égalité des savoirs, que nous arriveront à dépasser les problématiques. Le voyage permet cette rencontre, ce partage, participant à cette « décolonisation de notre imaginaire »(7) chère au premier ministre du Tibet. Il faut effectuer se retour sur soi, sur les méthodes et pratiques du passé, pour comprendre la source de nos maux actuels, pour partager ensuite et réfléchir ensemble à l’avenir de l’homme sur la planète. 



(1) Morin, Edgar Penser global, Robert Laffont, Paris, 2015, emplacement livre électronique 828 

(2) Ibid 

(3) Ysé Tardan-Masquelier, « La réinvention du yoga par l'Occident », Études 2002/1 (Tome 396), p. 39-50. 

(4) Morin, Edgar Penser global, Robert Laffont, Paris, 2015, emplacement livre électronique 828 

(5) Morin, Edgar Penser global, Robert Laffont, Paris, 2015, emplacement livre électronique 1423 

(6) Morin, Edgar Penser global, Robert Laffont, Paris, 2015, emplacement livre électronique 847 

(7) Vidéo YouTube, MARC DE LA MENARDIERE Changer de croyances pour changer de monde, 7m05s

lundi 4 avril 2016

L’apprentissage d’une langue, entre compétence linguistique et outil de communication, aliénation ou émancipation

À l’aube de l’humanité, les premiers hommes se sont développés en communautés disparates sur l’ensemble de la planète, de manière simultanée. Ils ont ainsi indépendamment les uns des autres, développe une culture, des pratiques, une communication singulière. La rencontre qui s’en est suivie, alors que ses peuples nomades parcouraient le globe à la recherche de nourriture, de nouveaux territoires de chasses sur une planète qui déjà voyait son climat et sa géographie évoluer, a donné lieu à des interactions multiples en terme d’échange de ressources, de savoirs, de cultures. Cet échange est en grande partie assujetti à une compréhension mutuelle, qui comme nous le savons pour notre espèce, passe en partie par le langage articulé. Ainsi depuis des millénaires, les peuples vont apprendre à communiquer entre eux, apprendre la langue d’autrui pour pouvoir commercer, converser, échanger. Et jusqu’à nos jours, ses phénomènes d’échanges que l’on nomme aujourd’hui comme interculturalité, ne sont que plus nombreux. Si les Etats-Nations ont eu tendance à homogénéiser les langages et minimiser voir supprimer les langues et dialectes de tribus et sociétés minoritaires (le français enseigner dans leurs anciennes colonies africaines et de par le monde, faisant fi des dialectes locaux, le cantonais remplacé par le mandarin durant le grand bon en avant de Mao en Chine, l’anglais enseigné de par le monde à l’ensemble des colonies britanniques), les échanges persistes et l’apprentissage des langues et de plus en plus mis en avant à l’heure de la mondialisation. Pourtant, à mon sens et de part mon vécu, je dirais que les français ont quelques lacunes vis-à-vis des langues étrangères, et principalement vis-à-vis de l’anglais, langue de la mondialisation. Au cours de mon parcours scolaire, je n’ai jamais été très attiré par l’anglais, et toujours été plutôt passable voir mauvais du point de vue académique. Si en comparaison des pays germaniques (Allemagne, Hollande, Autriche) ou des pays nordiques (Norvège, Suède, Finlande, entres autres), notre plus faible capacité linguistique, notamment de l’anglais, peuvent s’expliquer à l’instar de nos voisins latin, par une similarité linguistique entre les langues de ses pays du nord et l’anglais de part une racine germanique commune que nous, les latins, n’avons pas, on peut toute fois constater une particularité française dans l’apprentissages des langues étrangères. Sans aller chercher des statistiques en éducation, il est aisé de constater la pauvreté de niveau des français dans leurs aptitudes à parler les langues étrangères. Combien d’amis étrangers m’ont raconté leurs difficultés d’orientation à Paris alors que les taxis et globalement la population ne savait pas ou pire ne voulait pas parler anglais. Combien de français n’ai-je pas rencontré en voyage qui ne pouvais pas aligner quelques mots en anglais et communiquer de manière simple. Combien de fois des étrangers se sont d’abord étonné puis m’ont félicité pour mon niveau d’anglais et mon accent (ou plutôt non accent français). Comme dirait Albert Jacquard, « c’est pas sérieux ». Et je le dis d’autant plus ouvertement et avec fermeté que j’ai été dans cette situation, je n’ai pas eu la moyenne à l’épreuve d’anglais du baccalauréat, je ne regardais que rarement des films en versions originales (anglais en partie), je ne pouvais faire une phrase ou m’exprimer à l’oral même de manière élémentaire. Et je suis partie en Nouvelle-Zélande, seul, pendant près de 8 mois, afin d’apprendre la langue de Shakespeare. En près de 10 années d’apprentissage de l’anglais à l’école, je n’ai pas développé d’attrait pour ce langage. De part mon envie de voyager, j’ai par la suite développé une conscience de sa nécessité. J’ai développé une envie, puis chemin faisant un goût pour cet outil de communication, et non cette compétence linguiste qui m’a été enseigné pendant des années. Combien d’élèves deviendront professeurs de langues , linguistes ou traducteurs ? Je rappellerais ici la dimension exprimé par Joseph Jacotot vis-à-vis du gouvernement française et son rapport à l’éduction qui est hiérarchique, autoritaire, sélectif et aliénant, « Critique un peu radicale de la méthode qui veut justement aller en bon ordre, progressivement, remplacer l’ignorance par le savoir. » (1) On voit bien ici ce dessiner cette passivité dans le rapport à l’apprentissage, à l’éducation, l’élève qui, assit, écoute le professeur dans son cours magistral et va petit à petit s’ « élever », à la hauteur du savant, en enlevant progressivement son costume d’ignorant. Selon moi, nous sommes encore en France dans ce rapport à l’éducation, à la connaissance, qui n’apporte pas la volonté d’émancipation de sa population mais bien d’assujettissement, de contrôle et du maintien de la distance aux savoirs. On retrouve dans le voyage et la volonté d’apprentissage d’une langue étrangère, cette idée d’émancipation. En effet c’est à plus de 10000km de la France, que dans la nécessité (de se nourrir, se loger, travailler) que j’ai développé une compétence, une capacité à communiquer, et ainsi un apprentissage de la langue anglaise. Il n’était plus questions de textes à traduire, de vocabulaire arbitraire à mémoriser, d’écoutes de mauvaises qualités et d’un accent des plus étonnant à décoder. Il me fallait vivre, comme je vie chez moi, mais en utilisant un nouveau moyen de communication. A travers le voyage et le vécu au sein d’une société nouvelle, l’individu va accéder à un outil de communication, va emmagasiner des codes sociaux, des attitudes, qui lui sont vital pour une bonne intégration et un plein épanouissement. En cela, le voyage est pour moi un chemin direct vers la connaissance, dans un univers de sens, de pensées nouvelles, qui sont stimulantes, enrichissantes, et qui surtout proviennent d’une nécessité. Je choisi au départ de me plonger dans l’inconnu, et par la suite je développe des mécanismes d’apprentissages qui me sont vitaux pour résister au choc culturel, comprendre et assimiler les particularités de cette nouvelle société. Je suis là, en voyage, dans un processus d’apprentissage continu, venant d’une caractéristique profonde de mon être et de tous les êtres humains, la nécessité d’échanger, de partager, de vivre avec l’autre. Joseph Jacotot parlera ainsi de la nécessité d’une émancipation « Il n’y a pas à instruire le peuple, il y a à lui dire qu’il peut s’émanciper. » (2) C’est cette idée d’émancipation qui traverse le voyageur, le fait de vouloir aller toucher de ses propres mains, voir de ses propres yeux, parler face à face avec l’altérité. On nous parle d’une société mondialisé, d’une grande communauté humaine, d’égalité entre les peuples, de Déclaration Universelle des Droits de l’Homme. Alors je pars, avec un sac sur le dos, à la rencontre des autres, des étrangers, des privilégiés, des exclus, des enfants, des jeunes, des adultes, des vieillards, des croyants, des chamans, des peuples de la montagne, des peuples de la mer, je pars trouver, ou plutôt retrouver, mes frères et mes sœurs. C’est en constatant une dissonance dans les discours et les pratiques de la société contemporaine, qui nous parle d’égalité mais pratique une politique restrictive quant à l’immigration, nous parle de terrorisme mais continue son ingérence étrangère et sa recherche de domination géostratégique qui en sont les racines, que je décide de partir à la recherche de savoirs, de rencontres, de partages, afin d’éprouver toujours un peu plus ma condition humaine. 

(1) Présentation du livre « Méthode de l’égalité », Librairie Mollat, vidéo Youtube, 40m02s 
(2) Présentation du livre « Méthode de l’égalité », Librairie Mollat, vidéo Youtube, 40m25s

« Ce n’est pas un signe de bonne santé mentale que d’être bien adapté à une société profondément malade. »

Cette citation de Krisnamurti que j’ai retrouvé dans un « talk » de Marc De La Ménardière, organiser par TEDx talks, à voir sur YouTube (1), m’a fait penser à la condition de vagabond, d’individu errant, ce dont s’il fallait appartenir à une case, je me revendiquerais. Tout au long de l’histoire, il est intéressant de constater que la société à mis à l’écart ses populations, les a stigmatisés, traduisant comme un mécanisme de défense vis-à-vis de ses croyances, ses agissements, son système, Gueslin parlant ainsi d’un processus de « médicalisation de l’errance » (2). Laurent Mucchielli mettra également en avant l’impacte de ses représentations sociales des sociétés concernés, sur les discours scientifiques. (3) On va ainsi définir l’errance, le vagabondage comme une pathologie, en 1928 Guy Néron, scientifique, ira même jusqu’à parler dans sa thèse de causes psychiatriques dans 80% des affaires de fugues.(4) On voit ainsi un mécanisme que l’on a retrouve dans plusieurs domaine comme la justification à son époque de l’esclavage et du racisme, le recours à la science, pour disqualifier, discréditer, exclure l’individu gênant, celui que l’on ne peut pas mettre dans une case, qui ne correspond pas au modèle de société que l’on a bâti et qui nous renvoi l’image d’un échec, d’une incompréhension, en utilisant la sainte science, exacte, indiscutable, immuable. Alors pour ne pas remettre en cause l’ordre établi, on va « faire porter à l’individu, seul, la responsabilité de son comportement. » (5) La multiplication actuelle des recherches et des découvertes en physique quantique et génétique notamment, démontrent au jour le jour le caractère incertain du monde physique (tout n’étant qu’énergie, probabilité, dans un espace-temps indéfinissable), viennent bousculer ses certitudes, l’avenir nous dira en combien de temps cela se traduira dans les mœurs. Si il est vrai que le vagabondage dont on nous parle à cette époque et qui a été le plus souvent stigmatisé, avait été subit de manière direct par une majorité d’individu, étant à la recherche d’un emploi, en situation d’exclusion familiale, sociale, le vagabond dont je me revendiquerais aurait comme origine une volonté individuelle de départ. C’est en vivant dans cette société, en l’éprouvant, en y étant d’un point de vue extérieur « bien intégré », que je fais le choix de le délaisser, de « partir à l’aventure », à la découverte de nouvelles contrés. Je fais ainsi le choix de ne pas me sociabiliser comme la société l’a programmé pour ses individus, Robert Castel parlant de « processus de désaffiliation ». (6) Ce processus résulte d’une multitude de facteurs qui se succèdent comme par exemple la défaillance des institutions garantes pour chacun d’une reconnaissance et d’une protection. C’est ainsi qu’aujourd’hui, à l’heure de la mondialisation, les vagabonds viennent déjouer cette course effréné vers la consommation, le « progrès », l’aliénation au travail par l’endettement. Le vagabond consomme peu voir très peu, il s’ouvre à d’autres formes de socialisations et de subsistances comme le partage, l’échange de services, le recyclage, la consommation de denrées alimentaires venant des poubelles. Au cours de mes différents voyages, j’ai pu côtoyer un ensemble de personnes qui vivaient en marge de cette société capitaliste qui occupe une grande partie de notre planète. Des infirmiers, un ingénieur au chômage, des jeunes saisonniers sans diplôme qui vivent en camion à travers l’Europe, travaillent principalement dans l’agriculture et partent plusieurs mois par an en Amérique du Sud ou en Asie en voyage en sac à dos. Un jeune ingénieur fraichement diplômé qui n’a pas tenu la vie d’entreprise plus de 6 mois et est parti sur les routes pour un tour du monde, sans objectifs précis, sans destinations particulières. Plusieurs jeunes avant ou après leurs études partent généralement une année travailler ou simplement voyager à l’étranger. Le point commun de toutes ses personnes, bien que les modalités et les temporalités de voyage divergent, c’est de vouloir voir autre chose, changer d’air, s’extraire de son milieu, explorer l’inconnu pour rechercher de l’inspiration, du sens, à leur existence. En d’autre terme sortir de leur société, quitter leurs familles, leurs amis, s’éprouver autrement, faire face à l’altérité pour une période de temps déterminé ou non à l’avance. Serait-ce pour trouver un remède à cette société qui dégénère, trouver du sens là ou dans leurs vies ils n’en n’ont plus ? Si pour une partie de ses vagabonds, le voyage durera quelques mois, peut-être quelques années, pour tout un ensemble d’individus, ce mode de vie en marge des sociétés capitalistes est devenu une milieu social à part entière dans lequel ils s’épanouissent, avec ses propres codes, transactions, cultures, reposant sur un ensemble de valeurs qui ne leurs sont pas ou plus proposé dans la société capitaliste. En prenant les individus dans leurs singularités, en accordant du crédit à chaque pratique, chaque mode de vie, observer les vagabonds , leurs nombres fluctuants au cours de l’histoire, leurs diversités, nous pouvons tirer des leçons sur les problématiques qu’ils mettent en avant dans les sociétés. Actuellement, ce mode de vie peut être vu comme une revendication à l’encontre de la mondialisation capitaliste, la montée du consumérisme, nous faisant passer d’un Homo Sapiens à un Homo Consumericus (7), en déconnection toujours plus grande avec la nature, avec la planète. 

(1) Vidéo YouTube, MARC DE LA MENARDIERE Changer de croyances pour changer de monde, 0m12s 
(2) Gueslin André, D’ailleurs et de nulle part. Mendiants vagabonds, clochards, SDF en France depuis le Moyen Âge, p.271, Paris, Fayard 
(3) Mucchielli Laurent (1998), « Clochards et sans-abri : actualité de l’œuvre d’Alexandre Vexliard », Revue française de sociologie, vol. 39, n° 1, pp. 105-138 
(4) Jacques Rodriguez, « « Partir, c'est mourir un peu ». Réflexions sociohistoriques sur la mobilité et l'errance », Pensée plurielle 2014/1 (n° 35), p. 21-32 
(5) Ibid 
(6) Castel Robert (1995), Les métamorphoses de la question sociale. Une chronique du salariat, Paris, Fayard 
(7) Gilles Lipovetsky, Le bonheur paradoxal, Essai sur la société d'hyperconsommation : Gallimard, 2006

samedi 2 avril 2016

Elargir le champ des possibles à l’étranger, en contact avec l’altérité

En société, beaucoup de déterminants sociaux, familiaux, sociétaux nous empêchent, consciemment ou inconsciemment de nous exprimer, exprimer notre moi intérieur, une personnalité, une créativité. Nous sommes conditionné à respecter un certain nombre de règles, comme des codes vestimentaires, codes de conduites, et pratiquer cacher tout ce qui ne relèverais pas d’une culture dominante sous peine de vivre l’exclusion, le regard de l’autre, la stigmatisation. On peut parler des habitudes alimentaires pour les végétariens, les pratiques spirituelles comme le bouddhisme ou le yoga bien que celle-ci ce soit démocratisé en occident depuis plusieurs décennies. On voit comment notre société peut être un frein à un épanouissement personnel de l’individu. Au cours du voyage, l’individu loin de ses attaches, de sa famille, ses amis, ses collègues, trouve ou retrouve une liberté de mouvement, une liberté d’action, une liberté de changement, une liberté d’être. Je me souviens encore de mon arrivée en Nouvelle-Zélande, à 21ans, un DUT en poche, 30kg de bagage et l’idée d’immigrer et de m’installer. Le premier sentiment, au-delà du stress de la langue que je ne connaissais pas, de la distance avec ma famille, l’inconnu, était l’ensemble des possibilités qu’il s’offrait à moi. Personne ne me connaissait, je ne connaissais personne, je pouvais être qui je voulais, expérimenter une identité, une pratique spirituelle, une apparence physique, sans me poser la question de l’acceptation de ce changement par mon entourage. En Inde, beaucoup de voyageur, moi y compris, deviennent végétarien. Par simplicité, la viande n’étant pas très rependue bien que largement accessible de nos jours. Au cours du voyage, au cours de l’errance, dans l’instant inattendu, on découvre une pratique, une culture, une science, un savoir, il nous attend, nous tend les bras et nous n’avons plus qu’à l’embrasser. L’emploi du temps au cours de la mobilité étant limité voir inexistant, les possibles sont partout, l’esprit est à l’affut, disponible pour chaque découverte. Voilà une des raisons pour lesquels en voyage, je n’emporte jamais de guide. Le seul que j’ai jamais acheté pour mes voyages était celui de la Nouvelle-Zélande et je ne l’ai jamais ouvert. Pourquoi vouloir biaiser le sentiment de découverte, de surprise, d’exaltation, à l’heure de la surinformation qui nous donnent qu’on le veuille ou non tout le temps et toujours des avis, des conseils, des mises en gardent, sur tel sujet, tel population, tel religion. L’effet de surprise est déterminant lors d’une rencontre, il devient le moteur de la connaissance, l’essence même du voyage étant de se faire surprendre. Se faire surprendre pour apprendre, se faire surprendre pour évoluer, se faire surprendre pour se déconnecter, se faire surprendre pour aller au-delà de soi-même. Dans l’absolu je dirais que pour le voyageur, parfois le lieu, la destination, la population ne vient qu’au second plan. L’important étant cette surprise de la rencontre, de la rencontre avec l’altérité, avec l’imprévu. Je citerais ici quelques propos de Jacques Rancière pour illustrer mes propos : « La vie intellectuelle c’est d’abord de la rencontre, c’est pas d’abord des méthodes après ça on cherche des objets pour appliquer des méthodes et ainsi de suite. »(1) C’est dans ses moments de voyage, de confrontation avec l’altérité que ces moments de rencontre se font soutenus et participe alors à la construction d’une pensée, d’une réflexion, d’une forme d’intelligibilité, de connaissance du monde, de l’autre. « Il faut se fier à la rencontre de l’inattendu. »(2), « L’émancipation passe toujours au départ par une rencontre avec quelque chose auquel on n’était pas destiné. »(3) Le voyageur emprunte des chemins, sans avoir de destination précise, laisse place au hasard de la rencontre et forçant un peu le destin de la rencontre, et ainsi le moment de cette émancipation dont parle Rancière.


(1) Présentation du livre « Méthode de l’égalité », Librairie Mollat, vidéo Youtube, 8m42s
(2) Ibidem 13m46s
(3) Ibidem 36m20s