lundi 4 avril 2016

« Ce n’est pas un signe de bonne santé mentale que d’être bien adapté à une société profondément malade. »

Cette citation de Krisnamurti que j’ai retrouvé dans un « talk » de Marc De La Ménardière, organiser par TEDx talks, à voir sur YouTube (1), m’a fait penser à la condition de vagabond, d’individu errant, ce dont s’il fallait appartenir à une case, je me revendiquerais. Tout au long de l’histoire, il est intéressant de constater que la société à mis à l’écart ses populations, les a stigmatisés, traduisant comme un mécanisme de défense vis-à-vis de ses croyances, ses agissements, son système, Gueslin parlant ainsi d’un processus de « médicalisation de l’errance » (2). Laurent Mucchielli mettra également en avant l’impacte de ses représentations sociales des sociétés concernés, sur les discours scientifiques. (3) On va ainsi définir l’errance, le vagabondage comme une pathologie, en 1928 Guy Néron, scientifique, ira même jusqu’à parler dans sa thèse de causes psychiatriques dans 80% des affaires de fugues.(4) On voit ainsi un mécanisme que l’on a retrouve dans plusieurs domaine comme la justification à son époque de l’esclavage et du racisme, le recours à la science, pour disqualifier, discréditer, exclure l’individu gênant, celui que l’on ne peut pas mettre dans une case, qui ne correspond pas au modèle de société que l’on a bâti et qui nous renvoi l’image d’un échec, d’une incompréhension, en utilisant la sainte science, exacte, indiscutable, immuable. Alors pour ne pas remettre en cause l’ordre établi, on va « faire porter à l’individu, seul, la responsabilité de son comportement. » (5) La multiplication actuelle des recherches et des découvertes en physique quantique et génétique notamment, démontrent au jour le jour le caractère incertain du monde physique (tout n’étant qu’énergie, probabilité, dans un espace-temps indéfinissable), viennent bousculer ses certitudes, l’avenir nous dira en combien de temps cela se traduira dans les mœurs. Si il est vrai que le vagabondage dont on nous parle à cette époque et qui a été le plus souvent stigmatisé, avait été subit de manière direct par une majorité d’individu, étant à la recherche d’un emploi, en situation d’exclusion familiale, sociale, le vagabond dont je me revendiquerais aurait comme origine une volonté individuelle de départ. C’est en vivant dans cette société, en l’éprouvant, en y étant d’un point de vue extérieur « bien intégré », que je fais le choix de le délaisser, de « partir à l’aventure », à la découverte de nouvelles contrés. Je fais ainsi le choix de ne pas me sociabiliser comme la société l’a programmé pour ses individus, Robert Castel parlant de « processus de désaffiliation ». (6) Ce processus résulte d’une multitude de facteurs qui se succèdent comme par exemple la défaillance des institutions garantes pour chacun d’une reconnaissance et d’une protection. C’est ainsi qu’aujourd’hui, à l’heure de la mondialisation, les vagabonds viennent déjouer cette course effréné vers la consommation, le « progrès », l’aliénation au travail par l’endettement. Le vagabond consomme peu voir très peu, il s’ouvre à d’autres formes de socialisations et de subsistances comme le partage, l’échange de services, le recyclage, la consommation de denrées alimentaires venant des poubelles. Au cours de mes différents voyages, j’ai pu côtoyer un ensemble de personnes qui vivaient en marge de cette société capitaliste qui occupe une grande partie de notre planète. Des infirmiers, un ingénieur au chômage, des jeunes saisonniers sans diplôme qui vivent en camion à travers l’Europe, travaillent principalement dans l’agriculture et partent plusieurs mois par an en Amérique du Sud ou en Asie en voyage en sac à dos. Un jeune ingénieur fraichement diplômé qui n’a pas tenu la vie d’entreprise plus de 6 mois et est parti sur les routes pour un tour du monde, sans objectifs précis, sans destinations particulières. Plusieurs jeunes avant ou après leurs études partent généralement une année travailler ou simplement voyager à l’étranger. Le point commun de toutes ses personnes, bien que les modalités et les temporalités de voyage divergent, c’est de vouloir voir autre chose, changer d’air, s’extraire de son milieu, explorer l’inconnu pour rechercher de l’inspiration, du sens, à leur existence. En d’autre terme sortir de leur société, quitter leurs familles, leurs amis, s’éprouver autrement, faire face à l’altérité pour une période de temps déterminé ou non à l’avance. Serait-ce pour trouver un remède à cette société qui dégénère, trouver du sens là ou dans leurs vies ils n’en n’ont plus ? Si pour une partie de ses vagabonds, le voyage durera quelques mois, peut-être quelques années, pour tout un ensemble d’individus, ce mode de vie en marge des sociétés capitalistes est devenu une milieu social à part entière dans lequel ils s’épanouissent, avec ses propres codes, transactions, cultures, reposant sur un ensemble de valeurs qui ne leurs sont pas ou plus proposé dans la société capitaliste. En prenant les individus dans leurs singularités, en accordant du crédit à chaque pratique, chaque mode de vie, observer les vagabonds , leurs nombres fluctuants au cours de l’histoire, leurs diversités, nous pouvons tirer des leçons sur les problématiques qu’ils mettent en avant dans les sociétés. Actuellement, ce mode de vie peut être vu comme une revendication à l’encontre de la mondialisation capitaliste, la montée du consumérisme, nous faisant passer d’un Homo Sapiens à un Homo Consumericus (7), en déconnection toujours plus grande avec la nature, avec la planète. 

(1) Vidéo YouTube, MARC DE LA MENARDIERE Changer de croyances pour changer de monde, 0m12s 
(2) Gueslin André, D’ailleurs et de nulle part. Mendiants vagabonds, clochards, SDF en France depuis le Moyen Âge, p.271, Paris, Fayard 
(3) Mucchielli Laurent (1998), « Clochards et sans-abri : actualité de l’œuvre d’Alexandre Vexliard », Revue française de sociologie, vol. 39, n° 1, pp. 105-138 
(4) Jacques Rodriguez, « « Partir, c'est mourir un peu ». Réflexions sociohistoriques sur la mobilité et l'errance », Pensée plurielle 2014/1 (n° 35), p. 21-32 
(5) Ibid 
(6) Castel Robert (1995), Les métamorphoses de la question sociale. Une chronique du salariat, Paris, Fayard 
(7) Gilles Lipovetsky, Le bonheur paradoxal, Essai sur la société d'hyperconsommation : Gallimard, 2006

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire