mardi 12 avril 2016

Le voyage comme une recherche du tout et des parties, dans l’univers du sens et non des chiffres

Après la lecture du livre « Penser global » d’Edgar Morin, j’ai mis ses mots en relation avec mes découvertes asiatiques (un voyage de 7 mois et demi entre l’Inde et le Népal) à travers la médecine ayurvédique , le yoga et la méditation. Dans son livre, Edgar Morin met notamment en avant le manque de prise de conscience collective à l’heure actuelle. Il met cela en relation direct avec la « difficulté à penser le global, c’est-à-dire la relation entre le tout et les parties, les parties et le tout, les interactions, la complexité alors que si le processus se poursuit, nous courons à la catastrophe. »(1) Il parle des limites du quantitatif dans nos sociétés actuelles alors même que dit-il « l’essentiel des êtres humains échappe au calcul : le sentiment, l’amour, la joie, la tristesse, le chagrin, la douleur, la haine. »(2) C’est en effet dans cette optique que nous pouvons visualiser le voyage, la recherche de sens, la rencontre avec l’égalité, sans jugement de valeurs ou jugements quantitatifs, basés sur des données économiques, sociales ou encore politiques ou géographiques bien trop étroites pour la complexité du monde, du vivant et des individus. La rencontre au cours de mon dernier voyage m’a amené à commencer la pratique du yoga rapidement après mon arrivée et j’ai alors plongé dans un univers jusqu’alors inconnu. Ou du moins des représentations presque fantasmées, l’image du yoga pour moi étant depuis la France, une vision d’une gymnastique pour personnes d’un certains âge. Autant dire que j’ai vite été absorbé par toutes les singularités, subtilités et interconnections de cette pratique qui va de la compréhension du corps, le contrôle de la respiration, jusqu’à la considération du spirituel, la volonté de réalisation dans la pratique de la méditation en tant que moyen pour en quelque sorte « dépasser ses pensées ». Voilà une explication de l’utilisation du yoga en occident, donnée par une anthropologue des religions, spécialisé notamment dans les textes védiques et le yoga : « Le yoga, entre autres voies, se trouverait ainsi chargé d’une mission particulière de réparation ; il viendrait en quelque sorte combler un vide, rappeler la place de l’être, du « laisser-être » et de la gratuité dans un contexte où l’humain ne se juge et n’est jugé qu’à ses actes et aux effets positifs objectifs qu’ils produisent. »(3) Le yoga s’est démocratisé en Europe et aux Etats-Unis, à partir des années 70, notamment en pleine période post guerre du Vietnam, après le choc pétrolier de 72/73, Mai 68, faisant partie d’un mouvement d’émancipation spirituel, social et un contre-pied pris par une partie de la population vis-à-vis d’un modèle capitaliste toujours plus compétitif, normatif, quantitatif, qui a petit à petit imposé comme seul modèle valable dans la quête du bonheur, la consommation et l’accumulation de richesse, de biens matériels. La découverte de cette pratique physique est spirituel qui se veut faire le lien entre le corps, l’esprit, nos énergies vitales (yoga signifiant l’arrêt (la cessation, la stabilisation) des tourbillons (agitation incessante, perturbations) de la conscience. Alors seulement « se révèle le Témoin (le Soi) établi en lui-même, définition donnée dans les Yoga-sûtras de Patanjali) a « fait ses preuves » vis-à-vis d’une partie de la communauté scientifique internationale. Nombre de travaux sont diffusés (toujours sous une faible médiatisation) et démontre les bénéfices multiples du yoga et d’autres disciplines et connaissances venues d’Orient notamment la médecine Ayurvédique (étant l’une des plus vielle du monde), la médecine chinoise (qui ne connait pas un proche qui est entre autre aller chez un acuponcteur en Occident ?), la méditation et le Tai-chi (étant une variante du yoga travaillant également sur l’équilibre des énergies du corps). Pour citer quelques exemples, l’asthme se soigne particulièrement bien avec la pratique du yoga, certain exercices respiratoires (pranayama), certaines postures physiques spécifiques (asanas) ; la méditation a raison de quelques minutes par jour obtient de très bon résultat pour la lutte contre l’anxiété, le stress, la dépression. Même si la science moderne veut calculer, comparer, hiérarchiser, la pratique du yoga ou de la méditation se ressent, se vie au quotidien. Mon expérience personnelle, à la suite d’une pratique plus ou moins régulière depuis plusieurs mois maintenant, peut en attester. Ce n’est pas quantifiable, physiquement palpable, mais je me sens « mieux », mes pensées sont moins éparses, nombreuses et incontrôlés, mon corps est plus détendue. Ce constat a été partagé par plusieurs occidentaux rencontrés en inde, venus des quatre coins du monde pour chercher « l’apaisement », « le soin de douleurs chroniques que la médecine moderne n’a pas su soigner », ou encore un métier dans le bien-être (les formations pour devenir professeur de yoga sont très rependu en Inde). Un camionneur chilien de 60 ans, rencontré dans un ashram me disait que cette pratique le « recentrait », lui donnait du plaisir, de la paix intérieur. La lecture de plusieurs ouvrages pendant son séjour lui été apparue comme tout un ensemble de « vérités » qu’il pouvait expérimenter et vérifier au quotidien. Des messages de tolérance, de compréhension de soi. On retrouve ici les mots d’Edgar Morin lorsque l’on vient à parler de système global, de vision du tout en même tant que les parties, de la considération d’une seule et même entité (le monde du vivant), d’une grande communauté (celle des hommes) mais de leurs particularités individuelles inaliénables (la recherche de soi-même). Au cours de la pratique du yoga, le voyage m’a amené à vivre une expérience de 5 semaines dans un ashram, sorte de « monastère yogique », qui développe la pratique du yoga, de la méditation, d’une méditation collectives (Satsang) faite de chants spirituels et dévotionnels, d’une alimentation végétarienne et une pratique du bénévolat (karma yoga). Ce temps passé, un peu coupé du monde, était vu par Swami Sivanada, un maitre yogique, ancien médecin du début du 20ème siècle qui a été le premier a exporté le yoga et a développé une pratique adapté aux occidentaux, comme un moyen de se ressourcer, se recentrer sur soi-même, voir même se découvrir ou se redécouvrir individuellement. Son enseignement s’inscrit dans une continuité, un processus de vie, fait d’un ensemble de petits pas. Une de ses formules célèbres étant « Eat a little, Drink a little, Sleep a little, Meditate a little, Exercise a little, etc… ». Ces moments passés à l’ashram dans le sud du Kerala étaient vu pas son directeur actuel comme un point d’observation extérieur au monde occidental, un moment de recul par rapport à son existence, par rapport à ses pratiques, à son métier, sa situation social, son rapport à soi. Je met directement ces paroles en lien avec une phrase d’Albert Einstein : « On ne résout pas les problèmes avec les modes de pensée qui les ont engendrés ». Dans cette idée de réfléchir sur les problématiques de nos sociétés modernes, il apparait logique voir même vitale d’aller voir ailleurs, de se confronter à d’autres modes de pensées, d’autres façons d’appréhender la vie, la recherche du bonheur, le développement intellectuel, social voir spirituel de nos sociétés. Depuis la découverte de la poudre explosive venue de Chine et sa transformation en arme à feux, il est de coutume de dire que l’Europe et plus tard les Etats-Unis ont pris un ascendant technologique considérable sur l’ensemble de la planète et ont pu asseoir leur domination dans leurs soif de conquêtes et leurs « missions civilisatrices ». Mais cette domination technologique et économique a fait table rase de la spiritualité, et de multiples sciences des plus avancées des peuples conquis. Un exemple étant la civilisation Incas. Lors de ma visite du Machu Picchu, grande cité Incas qui était en fait un exploratoire astronomique très poussé, le guide m’a expliqué que les espagnols en arrivant ont détruit des grandes vasques qu’ils pensaient être de simple mortier. En réalité ses vasques servaient en y mettant de l’eau à observer les étoiles par réfractions et permettaient aux Incas d’établir des calendriers lunaires très avancés, organisant ainsi avec précisions leurs agricultures. Ce peuple a ainsi fait pousser du Maïs à plus de 1000m d’altitude par la méthode dite de l’escalier, à diversifier les cultures et développé une civilisation qui s’étendait sur presque l’ensemble de l’Amérique du Sud. En faisant une analogie, on peut dire que la science modernes sociétés modernes, avec cette esprit de supériorité par rapport aux autres peuples et notamment envers l’Orient, rechigne encore à s’ouvrir pleinement à ces sciences et ces médecines millénaires qui abordent notamment la santé et le corps d’une manière bien différentes. Je citerais encore ici Edgar Morin. « Tout cela est incompris de beaucoup d’économistes, incompris de tous ceux qui vivent dans l’univers du calcul. Encore une fois, la quantification et le cloisonnement sont les ennemis de la compréhension. »(4) C’est une invitation au décloisonnement et à l’ouverture vers une compréhension de manière globale à laquelle nous invite ici Mr Morin, une recherche de sens qui va au-delà de la quantification, du rationalisme, un rationalisme toujours plus désincarné sans fondement idéologique clairement défini. Edgar Morin dira à ce propos : « Nous devons éviter ce qu’on appelle la « rationalisation », c’est-à-dire des systèmes logiques, mais qui n’ont aucune base, aucun fondement. Nous devons éviter la dogmatisation, c’est-à-dire le durcissement de nos idées, le refus de les confronter à l’expérience. Nous devons abandonner une rationalité fermée, incapable de saisir ce qui échappe à la logique classique, incapable de comprendre ce qui l’excède, pour nous vouer à une rationalité ouverte connaissant ses limites et consciente de l’irrationalisable. »(5) A travers le voyage, à travers la rencontre de l’autre, il est possible d’effectuer ce mouvement d’ouverture au-delà d’une logique classique, un partage des connaissances, des logiques, des croyances, des sciences du monde, entre toutes les communautés. Cette ouverte intellectuelle qui n’est possible que lors de cette échange avec autrui, celui qui fait différemment, pense différemment son rapport à soi, son rapport à l’autre, son rapport à la nature. Encore une citation de son livre qui résume bien l’état d’illogisme dans lequel nous sommes actuellement. « Le paradoxe, c’est que la civilisation occidentale, elle-même en crise, se présente aux pays en voie de développement comme étant la guérison, alors qu’elle porte en elle la maladie. »(6) On ne peut continuer à se développer et à chercher des solutions en restant campé sur nos acquis, nos gloires passées, cet esprit encore toujours présent de domination, de supériorité du monde occidentale. L’urgence écologique, sociale, économique, politique, nous empêchent de continuer de rêver à un avenir meilleur sans remettre en cause quelques fondements de notre modèle de société moderne. C’est encore une fois et je le répète, par la rencontre avec autrui, par la réflexion en communautés internationales, la mise en commun sous un principe d’égalité des savoirs, que nous arriveront à dépasser les problématiques. Le voyage permet cette rencontre, ce partage, participant à cette « décolonisation de notre imaginaire »(7) chère au premier ministre du Tibet. Il faut effectuer se retour sur soi, sur les méthodes et pratiques du passé, pour comprendre la source de nos maux actuels, pour partager ensuite et réfléchir ensemble à l’avenir de l’homme sur la planète. 



(1) Morin, Edgar Penser global, Robert Laffont, Paris, 2015, emplacement livre électronique 828 

(2) Ibid 

(3) Ysé Tardan-Masquelier, « La réinvention du yoga par l'Occident », Études 2002/1 (Tome 396), p. 39-50. 

(4) Morin, Edgar Penser global, Robert Laffont, Paris, 2015, emplacement livre électronique 828 

(5) Morin, Edgar Penser global, Robert Laffont, Paris, 2015, emplacement livre électronique 1423 

(6) Morin, Edgar Penser global, Robert Laffont, Paris, 2015, emplacement livre électronique 847 

(7) Vidéo YouTube, MARC DE LA MENARDIERE Changer de croyances pour changer de monde, 7m05s

1 commentaire:

  1. Enfin je trouve un moyen de communication.. J espère que ça marchera et que tu lis ton blog. Tu m as fait bien inquiété, moi qui suis tes aventures sur fb depuis le début, m assurant au passage que tu es en bonne santé. Ors tu t'es soudainement supprimé et je n'ai plus aucun moyen de savoir si tu vas bien et cela me stresse. Merci d'y remédier et me donner signe de vie. Ton bon vieux copain du Lycée, jesus delnondedieu.

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